Fritz Jean est sur une île déserte. Après l’accident dont il se rappelle quelques bribes seulement des circonstances, il se retrouve seul. L’avion avait piqué du nez et les passagers criaient, gesticulaient et puis plus rien. La seule chose qu’il a est un petit miroir.
Il était en train de vérifier qu’aucune miette n’était restée dans les interstices de ses grandes dents, après avoir mangé des noix et des pistaches chaudes et bu 3 verres de champagne, servis dans la classe affaires. Il garde le petit miroir dans sa poche et le palpe de temps à autre. Son cœur bat la chamade à chaque fois qu’il la sort.
L’image qu’il lui renvoie lui fait peur. Déjà, il ne sourit jamais, tant il est angoissé, mais son reflet, lui, sourit et part même quelques fois dans des éclats de rire qu’il n’arrive à calmer qu’en remettant l’objet dans sa poche.
Les journées sont longues. Il n’a rien à faire. Dans son autre vie, plutôt récente, il se rappelle qu’il avait trahi tout le monde. Ses amis de Montana qui l’avait élu président, même si l’élection était farfelue, ses collègues du CPT qu’il avait trahi parce qu’il voulait pour lui tout seul la place de président.
Il ne regrettait rien. Il avait toujours admiré le Président Duvalier qui répétait souvent que la reconnaissance est une lâcheté et fait sien cet adage qui dit que les vrais politiciens n’ont pas d’amis.
Il a peur. Pas seulement des bruits qu’il entend autour de lui, mais que l’image dégradée qu’il avait en quittant le pays pour une réunion aux îles Canaries ne le fasse oublier trop vite.
Il aurait dû faire tuer ces gens qui ne l’ont jamais pris au sérieux, alors qu’il est certain d’être le meilleur. Sa déconfiture au Cap-Haïtien le 18 mai 2025 continuait de l’empoisonner, de le ronger. La dernière sortie qu’il avait fait dans un entretien avec un journal avait fait rire de lui. Tout ce qu’il voulait c’était avoir le beau rôle, qu’est-ce que ces imbéciles n’avaient pas compris ?
Bien sûr, qu’il avait nommé, comme ses 8 autres collègues, cette armada de gens dans les missions, consulats et ambassades, bien sûr qu’il avait commis une faute plus lourde qu’eux en nommant Myrtha Désulmé, une dégénérée, comme ambassadrice à l’OEA, mais le chef n’est-il pas le seul à avoir droit à l’erreur ?
Il avait autant qu’il peut essayer de charger le ministre des Affaires étrangères, il avait tenté de lui faire porter le chapeau des nombreuses nominations, il avait quelqu’un d’autre sous le coude qui lui avait rendu un grand service, et surtout qu’il pouvait absolument contrôler de sorte qu’il soit le seul à pouvoir nommer des gens dans la diplomatie, ses collègues et ce Premier ministre un peu loufoque auraient pu comprendre ça non ?
Son ventre gargouille, son système n’est pas habitué encore avec les fruits et les feuilles qu’il mange pour survivre, il a une diarrhée chronique. Il faut qu’il tienne le coup. Il a trop d’argent dont il doit profiter. Tout le monde doit être à sa recherche pour l’installer comme seul président de la République, il le sent, il le sait.
Karma Legrand