Le 4 juin 2025, le président Donald Trump a signé un décret interdisant l’entrée aux États-Unis des ressortissants de douze pays, dont Haïti. Ce décret, qui entrera en vigueur le 9 juin à 12 h 01 du matin, représente un tournant brutal dans les relations haïtiano-américaines et risque d’avoir des conséquences économiques, sociales et humaines majeures pour le peuple haïtien. Il interdit non seulement l’émigration légale vers les États-Unis, mais bloque également l’accès aux visas temporaires pour des milliers d’Haïtiens.
Depuis des décennies, les États-Unis représentent pour les Haïtiens une terre d’espoir, de refuge et de progrès. Des générations entières ont quitté le pays pour fuir l’instabilité politique, les catastrophes naturelles, ou simplement pour chercher de meilleures conditions de vie. Grâce à leur travail acharné, ces membres de la diaspora haïtienne ont su s’établir dans divers États américains, notamment en Floride, à New York, au Massachusetts ou encore en Géorgie. Leurs envois d’argent vers Haïti — qui représentent chaque année entre 2 et 3 milliards de dollars — constituent l’un des principaux piliers de l’économie nationale. Avec ce décret, ce lien vital est directement menacé.
Sur le plan humain, la décision de Trump aura un impact tragique sur des milliers de familles haïtiennes. De nombreux parents attendaient des années pour faire venir leurs enfants ou conjoints grâce au processus de réunification familiale. Ces projets se retrouvent brutalement interrompus, plongeant des familles entières dans l’incertitude, le chagrin et l’angoisse. Les jeunes étudiants haïtiens qui espéraient étudier dans des universités américaines, les artistes qui devaient participer à des événements culturels, ou encore les entrepreneurs en quête de partenariats économiques, voient leurs rêves s’effondrer du jour au lendemain.
Le président Trump justifie cette mesure par des motifs de sécurité nationale, évoquant un manque de coopération des pays concernés en matière de retour de leurs ressortissants expulsés, une faible qualité de contrôle des identités, ou encore des taux élevés de dépassement de visa. Or, cette justification, bien que légale selon les pouvoirs de l’exécutif américain, est perçue en Haïti comme profondément injuste. Le décret semble réactiver des logiques de stigmatisation déjà observées dans les précédentes politiques migratoires de Trump, qui ciblaient surtout des pays à majorité noire, musulmane ou pauvre. Pour de nombreux Haïtiens, cette décision relève moins d’un impératif sécuritaire que d’un agenda politique discriminatoire, en pleine campagne électorale américaine.
Les conséquences de cette interdiction pourraient également être explosives sur le plan social en Haïti. Dans un pays déjà ravagé par la violence des gangs, la pauvreté extrême, le chômage massif et la paralysie de l’État, cette fermeture d’un couloir d’émigration légale pourrait exacerber les frustrations. Des milliers de jeunes, qui voyaient dans l’émigration l’unique moyen de s’en sortir, se retrouvent sans perspective. Cette situation pourrait accentuer les départs clandestins par bateau, via la mer des Caraïbes, ou encore par les routes périlleuses de l’Amérique centrale. Ces migrations irrégulières exposent les Haïtiens à la traite humaine, aux naufrages, à la détention arbitraire ou à la mort.
La réaction du gouvernement haïtien à cette annonce reste pour l’instant timide, voire inexistante. Aucune déclaration officielle de protestation n’a été faite, ce qui renforce le sentiment d’abandon chez de nombreux citoyens. Pourtant, une telle décision appelle à une réponse ferme, stratégique et coordonnée. Haïti doit non seulement exiger des clarifications auprès de l’administration américaine, mais aussi mobiliser sa diaspora, ses partenaires internationaux, et ses ressources diplomatiques pour contester cette mesure. Le pays pourrait également entamer un plaidoyer auprès du Congrès américain et des organisations de défense des droits humains afin d’obtenir une révision du décret ou des exemptions spécifiques.
En parallèle, cette crise pourrait servir de réveil brutal pour Haïti. Elle rappelle l’urgence pour le pays de construire un modèle de développement qui n’est plus fondé sur la dépendance à l’émigration, mais sur la création d’opportunités locales. Il devient impératif d’investir dans l’éducation, l’agriculture, les technologies, l’industrie locale, et les infrastructures. L’État haïtien, en coopération avec les acteurs privés et la société civile, doit mettre en place une politique publique capable de redonner espoir à sa jeunesse, non pas à travers l’exil, mais en Haïti même.
Il faut aussi souligner que cette décision risque d’avoir un effet boomerang sur les relations diplomatiques et commerciales entre Haïti et les États-Unis. Elle pourrait générer un rejet croissant des politiques américaines perçues comme néocoloniales ou hostiles à l’égard des pays du Sud. Ce ressentiment pourrait affaiblir l’influence américaine dans la région et ouvrir la voie à d’autres puissances, notamment la Chine ou la Russie, qui cherchent à accroître leur présence dans les Caraïbes.
En définitive, le décret signé par Donald Trump est une épreuve de plus pour un peuple haïtien déjà à bout de souffle. Mais c’est aussi une occasion de repenser nos priorités nationales et de faire émerger une nouvelle conscience collective. Une conscience qui refuse de subir les décisions des autres et qui choisit de se tenir debout, avec dignité, pour bâtir une Haïti forte, autonome et respectée.
Port-au-Prince, 5 juin 2025
Georges DUPERVAL
Coordonnateur Général
BATON JENÈS LA