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Possibilité d’une justice communautaire en Haïti : quelles perspectives ?

Cette semaine, l’Association des Juges de Paix Haïtiens AJUPAH)
a organisé un atelier de réflexion à l’hôtel Karibe, pour explorer des pistes de possibilités à l’implémentation réelle de la justice communautaire pour répondre aux besoins de justice de proximité, de rapidité et de confiance.

Alors que le système judiciaire haïtien traverse une crise multidimensionnelle marquée par l’inefficacité institutionnelle, l’engorgement des tribunaux et la méfiance grandissante de la population envers l’appareil judiciaire traditionnel, l’idée d’une justice communautaire refait surface comme une alternative viable.

Cette forme de justice suppose un mode de résolution des conflits basé sur l’implication directe des communautés dans le traitement des litiges. Elle valorise le dialogue, la médiation, la conciliation et le respect des coutumes locales. Ce modèle n’exclut pas la loi, mais cherche plutôt à rapprocher la justice des citoyens en intégrant les savoirs traditionnels et les dynamiques sociales propres à chaque localité.

En Haïti, cette forme de justice existe de manière informelle depuis longtemps, notamment à travers le rôle des lakou, des chefs de communauté ou des comités locaux de médiation. Toutefois, elle n’a jamais été pleinement reconnue ni institutionnalisée dans le système judiciaire national.

Un contexte national propice à la réflexion

La tenue de l’atelier de l’Association des Juges de Paix Haïtiens (AJUPAH)
intervient à un moment critique où le vide institutionnel, l’insécurité grandissante, et la saturation des juridictions rendent de plus en plus difficile l’accès à la justice, surtout dans les zones rurales ou les quartiers populaires. Il devient donc nécessaire de « réinventer notre justice en partant de la base, en redonnant aux communautés les moyens de régler elles-mêmes les petits différends du quotidien. »

Il faut tout de même souligner que la justice communautaire ne vise pas à remplacer les institutions judiciaires, mais à les compléter, notamment en désengorgeant les tribunaux de paix et en reconstruisant la confiance entre justice et population.

Avantages et limites d’un tel modèle

Parmi les avantages mis en avant : la rapidité des décisions, la réduction des coûts, la prévention des conflits, et surtout, l’acceptabilité sociale des verdicts, car ils émanent souvent d’un consensus communautaire. L’expérience d’autres pays d’Afrique et d’Amérique latine a montré que ce modèle, lorsqu’il est bien encadré, peut grandement contribuer à la paix sociale et à la cohésion.

Cependant, plusieurs limites ont été évoquées, notamment le risque d’abus de pouvoir par des autorités locales non formées, la discrimination basée sur le genre ou le statut social, et le manque de cadre légal formel.  Se pose alors la question de « la nécessité d’un encadrement législatif clair, pour éviter que la justice communautaire ne devienne elle-même source d’injustice ».

Vers une formalisation encadrée ?

L’atelier a débouché sur plusieurs recommandations concrètes :

  • La mise en place de formations en médiation communautaire pour les juges de paix, les chefs de section communale et les membres des comités locaux.
  • L’élaboration d’un cadre législatif clair pour reconnaître, encadrer et superviser les instances de justice communautaire.
  • Le développement de partenariats avec les organisations de la société civile pour appuyer les démarches de justice de proximité.
  • La création de mécanismes de recours permettant aux citoyens de faire appel à la justice formelle en cas d’abus.

Une piste pour reconstruire le contrat social

Dans un pays où la justice officielle peine à remplir son rôle, et où les citoyens se sentent souvent abandonnés, la justice communautaire pourrait représenter une voie intermédiaire vers une justice plus accessible, plus équitable et plus humaine. Elle constitue aussi un moyen de réconciliation entre l’État et les communautés, en redonnant du pouvoir aux acteurs locaux et en réhabilitant des formes endogènes de résolution des conflits.

L’initiative de l’AJUPAH ouvre donc la porte à une réflexion de fond sur la réforme de la justice haïtienne, en plaçant la proximité, la confiance et la participation citoyenne au cœur du dispositif.

La justice communautaire n’est pas forcément le remède idéal, mais dans un État en crise, elle pourrait constituer une alternative pragmatique et adaptée pour restaurer un minimum de justice au sein des communautés. Encore faut-il que cette justice soit accompagnée, encadrée et inscrite dans une volonté politique ferme de transformation sociale. Le débat est lancé, reste à savoir si les autorités, les bailleurs de fonds et les citoyens sauront s’en emparer.

Par Gesly Sinvilier

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