Par Jean Mapou
Il est venu le temps de parler sans fard à cette génération née autour des années 2000; génération connectée, bruyante, souvent brillante mais profondément perdue dans le labyrinthe des illusions modernes. Une génération qui danse au bord du gouffre, inconsciente du poids de l’histoire qu’elle piétine, insouciante de l’héritage spirituel et moral qu’elle dilapide.
Cette génération, que nous pourrions appeler celle de l’apostasie cultuelle, de la naïveté et de l’insolence sociale, incarne à la fois la promesse d’un nouveau départ et la faillite d’une société qui n’a su transmettre ni repères, ni sacré, ni discipline.
L’apostasie cultuelle ou la rupture avec la transcendance et le subliminal
Autrefois, le culte, qu’il soit vodou, chrétien, ou simplement ancestral, constituait un lien sacré entre l’homme haïtien et le mystère de la vie. Il unissait les générations, donnait sens à la souffrance et orientait les consciences. Aujourd’hui, ce lien est brisé.
La génération 2000, éduquée dans la mondialisation numérique, a troqué la foi contre les “tendances”, la spiritualité contre le paraître, le sacré contre la dérision. Elle ne croit plus en rien, sauf en elle-même, et encore, d’une manière superficielle et instable.
Les temples sont devenus des scènes de spectacle, les pasteurs des influenceurs, et les prêtres vodou des figurants folkloriques. On ne cherche plus à communier, mais à se distinguer sur les plateformes internet. C’est là le signe d’une apostasie silencieuse: la perte du sens du divin, du mystère, de la transcendance et de mounité*
La naïveté sociale: l’ère du simulacre
La naïveté de cette génération n’est pas celle de l’ignorance, mais celle de la distraction. Les jeunes nés après 2000 croient comprendre le monde parce qu’ils le regardent à travers les écrans. Ils se pensent informés, alors qu’ils ne sont que conditionnés par le flux permanent des images, des slogans et des émotions. Ils s’y perdent en voulant s’affirmer autrement que leurs ainés.
Ils rêvent d’un “ailleurs” qui les fascine et les dévore, méprisant leur propre sol comme un fardeau. Leur patriotisme est digital, leur colère éphémère, leur mémoire courte.
Ils confondent liberté et désinvolture, réussite et visibilité. Pendant ce temps, les puissants continuent de manipuler un pays vidé de ses repères, pendant que les jeunes s’abandonnent à la manipulation ou l’instrumentalisation, à la facilité de la dérision et de la moquerie.
L’insolence sociale: le triomphe du désenchantement
Haïti est désormais un théâtre où s’affrontent la misère et la vanité. Les plus jeunes, livrés à eux-mêmes, revendiquent une liberté sans responsabilité, un droit sans devoir, critiquant sans comprendre le sens même de la critique.
Ils dénoncent la corruption, mais trichent aux examens; ils réclament la justice, mais idolâtrent ceux qui exhibent la richesse volée; ils veulent le changement, mais refusent la rigueur.
Cette insolence n’est pas celle de la révolte; elle serait alors noble, mais celle du vide. Une insolence sociale nourrie par le désenchantement, l’absence de transmission, et la décadence des modèles. Les héros sont morts, les mentors ont fui, et les institutions morales se sont effondrées. Plus de mains ouvertes, encore moins tendues.
Chronique d’un héritage maléfique
La génération 2000 n’est pas seule coupable: elle est aussi victime d’un héritage maudit. Celui d’un pays qui a trahi ses promesses, qui a préféré l’anathème à la réforme, la dépendance à la dignité. L’importation à la production nationale, les armes formation des cadres et le carnage au bien-être de ses citoyens.
Un pays où l’on a tué le rêve collectif, où les mots “nation”, “respect” et “solidarité” ne signifient plus rien. L’enfant du millénaire grandit donc dans un monde sans repères, héritant du chaos comme d’une tradition.
La nécessité d’un sursaut moral et spirituel
Pourtant, tout n’est pas perdu. Cette génération, si elle le veut, peut devenir celle du réveil.
Elle porte en elle la force du renouveau, la créativité, l’accès au savoir, et une conscience mondiale sans précédent. Mais pour cela, elle devra réapprendre à croire, comprendre, et servir. Croire en quelque chose de plus grand qu’elle. Comprendre les blessures du passé pour ne plus les répéter. Servir, non pas pour plaire, mais pour construire.
A cette génération, qu’on a appelée avec condescendance, Timoun 2000
Vous êtes les enfants d’un pays en ruine, mais vous pouvez être les bâtisseurs d’une civilisation nouvelle. Vous avez la jeunesse, l’innocence et le sens de l’innovation. Profitez-en pour marquer votre temps et laisser un héritage différent mais meilleur à votre postérité.
Refusez l’amnésie et la frivolité. Cherchez la vérité au-delà des apparences. Et surtout, ne méprisez pas l’héritage de ceux qui, dans la douleur et le sang, vous ont ouvert le chemin de la liberté.
L’histoire d’Haïti n’est pas finie. Elle attend encore sa génération rédemptrice.
Jean Mapou


