Cet article s’appuie sur des rapports d’organisations internationales (UNICEF, Education Cluster, IOM), des données publiques (Banque mondiale, UNESCO), des communiqués officiels du Ministère de l’Éducation nationale (MENFP) et des témoignages recueillis à Port-au-Prince, Carrefour et dans l’Artibonite.
PORT-AU-PRINCE. — À l’approche de la rentrée académique 2025-2026, l’éducation en Haïti reflète une crise nationale multiforme: violences armées persistantes, déplacements massifs de population, effondrement des services publics et pauvreté galopante. Entre annonces officielles et réalités du terrain, le décalage se creuse, compromettant l’accès à l’école pour des centaines de milliers d’enfants.
En effet, les chiffres disponibles dressent un constat alarmant. Selon l’UNICEF, 284 écoles ont été détruites en 2024 à la suite d’attaques ou d’incendies. Mais la dégradation la plus frappante réside dans le nombre d’écoles fermées: de quelques centaines en 2023, elles sont passées à 959 établissements fermés début 2025, puis à plus de 1 600 au milieu de l’année, selon les mises à jour de l’Education Cluster.
Chaque fermeture prive des dizaines, parfois des centaines d’élèves de leur droit à l’éducation. Les déplacements internes, signalés par l’OIM, accentuent la pression sur les rares écoles encore ouvertes, surtout dans les zones rurales.
Une rentrée scolaire presqu’inabordable pour de nombreux parents
Les ménages haïtiens font face à une double peine: flambée des prix et absence de soutien suffisant de l’État. Le coût d’un kit scolaire de base (sac, cahiers, uniforme, chaussures) a fortement augmenté par rapport aux années précédentes.
«Je n’ai pas les 20 000 gourdes pour la rentrée. Les ONG donnent parfois des cahiers, mais ce n’est pas suffisant», confie, madame Mirat, une mère rencontrée à Carrefour.
Cette pression financière entraîne déjà des abandons scolaires et met en danger la scolarité d’une génération entière. Les ONG alertent sur un risque massif de décrochage en 2025. Et d’ailleurs le ministre de l’Éducation nationale, Antoine Augustin avait récemment évoqué l’effondrement de l’école en Haïti.
Des écoles transformées en abris, difficile retour à la normale
Depuis 2023, de nombreuses écoles servent de refuge pour les déplacés internes. Dans l’Ouest et l’Artibonite, plusieurs établissements nécessitent encore un nettoyage, une réhabilitation et une sécurisation avant de rouvrir.
«Nous avons nettoyé trois salles qui servaient d’abri; les tables sont cassées et il n’y a plus de latrines propres. Comment accueillir 120 élèves dans ces conditions? », témoigne un directeur d’école publique au centre-ville de Port-au-Prince, sous couvert d’anonymat.
Des mesures insuffisantes du gouvernement, et un impact limité
Le MENFP a annoncé en septembre un ensemble de mesures: distribution de kits scolaires, relance des cantines, promotion automatique au premier cycle fondamental, réhabilitation d’écoles.
Si ces annonces rappellent celles des rentrées passées, leur mise en œuvre reste incertaine. Plusieurs personnes interrogées affirment n’avoir reçu aucune aide tangible à la veille de la rentrée.
Le coordinateur de PROCADEM, une ONG évoluant à Delmas, estime: «les mesures ministérielles sont un bon signal, mais tant que la sécurité n’est pas garantie et que la distribution reste centralisée, beaucoup d’écoles n’en verront pas la couleur».
Une véritable épreuve pour l’État haïtien
La rentrée scolaire 2025 dépasse la simple dimension logistique. Elle devient un baromètre de la capacité du pays à garantir un droit fondamental en temps de crise.
Les données comparatives avec les années précédentes montrent une dégradation continue; davantage d’écoles fermées, plus d’enfants déplacés, un soutien public et international affaibli. Les mesures gouvernementales, bien que nécessaires, apparaissent insuffisantes sans un renforcement de la sécurité, une décentralisation effective de l’aide et un appui psychosocial massif. À défaut, pour des dizaines de milliers d’élèves, cette rentrée pourrait être le signe d’un espoir manqué, et d’un avenir encore plus compromis.
Jean Mapou


