Depuis plus de cinq siècles, Haïti marche dans une vallée d’épreuves, de chaînes, de sang et de silence. Le peuple haïtien, fier et debout, a connu l’esclavage, la colonisation, la guerre, les trahisons, les humiliations, les catastrophes, la pauvreté extrême, la violence permanente et l’abandon des siens et des autres. Et aujourd’hui, après avoir arraché son indépendance au prix du sang et du feu, il est encore là, défiguré, affamé, pris en otage. Alors, en regardant le ciel, il pose une question ancienne et brûlante :
Dieu, où es-tu ?
Une Histoire qui commence dans la douleur
L’histoire d’Haïti ne commence pas en 1804. Elle commence avec l’extermination des Taïnos, le génocide oublié. Elle continue avec la traite négrière transatlantique, les bateaux négriers, les chaînes, les coups de fouet, les plantations, les mutilations, la déshumanisation.
Puis vint la révolution. Dessalines, Toussaint, Capois, Sanite Belair et tant d’autres. Le feu, la fureur, la victoire. Haïti devient libre, indépendante, première République noire du monde. Un miracle. Une lumière dans les ténèbres. Mais cette lumière dérange.
Une indépendance chèrement payée
Dès sa naissance, Haïti est isolée. Elle paie le prix de sa liberté. Littéralement. 150 millions de francs-or exigés par la France pour « indemniser » les colons dépossédés de leurs esclaves. Une rançon pour l’honneur d’être libre. Une dette qui saigne le pays pendant plus d’un siècle.
Pendant ce temps, les puissances du monde ferment les yeux. Et à l’intérieur, les luttes de pouvoir, les divisions, les assassinats politiques et les trahisons prennent racine.
Un peuple crucifié sur sa propre terre
Aujourd’hui, Haïti est un pays sans guerre officielle, mais en état de guerre permanente : guerre contre la faim, contre l’insécurité, contre la corruption, contre les gangs, contre le désespoir. Les écoles ferment, les hôpitaux manquent de tout, les jeunes fuient, les familles pleurent. Des quartiers entiers sont livrés à la loi des armes.
Et pendant que le peuple crie, les élites s’enrichissent, les politiciens complotent, les institutions s’effondrent. Et l’étranger ? Il observe, il manipule, il intervient à sa guise. Haïti devient un laboratoire d’échec, un théâtre d’expérimentations géopolitiques, un terrain de jeux pour intérêts croisés.
Comme les Juifs ? Oui, mais avec une terre sans paix
Les Juifs ont connu l’exil, les pogroms, l’Holocauste. Ils ont erré sans patrie, rejetés, méprisés, jusqu’à retrouver leur terre. Haïti, elle, a une terre. Mais elle est dévastée, pillée, abandonnée. Ce peuple a été humilié, méprisé, rejeté aussi. On a voulu le réduire au silence. On l’a transformé en caricature.
Haïti est devenu un peuple crucifié sur sa propre croix.
Pourquoi cette haine ? Pourquoi ce sort ?
Parce que Haïti a brisé une malédiction historique. Elle a prouvé que des Noirs pouvaient vaincre des empires, revendiquer leur humanité, écrire leur propre histoire. Et cela, ni les colons, ni les empires, ni les esclavagistes modernes ne l’ont jamais vraiment pardonné.
À l’intérieur aussi, cette haine s’est infiltrée : haine de soi, trahison des élites, mépris des pauvres, fragmentation volontaire. Un peuple qu’on a divisé pour mieux l’étouffer.
Alors Dieu ? Où es-tu ?
La question traverse les générations.
Dieu, où es-tu quand nous mourons de faim ? Où es-tu quand nos enfants fuient ou sont tués ? Où es-tu quand les bandits dirigent et que la loi est absente ?Où es-tu quand les nations nous exploitent et que nos dirigeants vendent notre avenir ?
Mais peut-être que Dieu est là. Pas dans les palais, ni dans les discours creux. Mais dans la mère qui nourrit son enfant malgré tout. Dans le paysan qui cultive sa terre même sans engrais. Dans le professeur qui enseigne sans salaire. Dans le jeune qui rêve encore. Dans l’artiste qui chante l’espoir. Dans le peuple qui, malgré tout, résiste.
Haïti n’est pas abandonnée. Elle est en agonie. Mais une agonie n’est pas une mort. C’est une transition. C’est le moment du choix. Se relever ou disparaître. Se rassembler ou sombrer. Peut-être que Dieu attend qu’Haïti se réveille, qu’elle se réconcilie avec elle-même, qu’elle bannisse ses Judas, qu’elle se relève avec foi, courage et intelligence.
Et maintenant ? Le destin d’Haïti ne se décidera pas à l’ONU, ni à Paris, ni à Washington. Il se décidera ici, entre les fils et filles de Dessalines. Ceux qui choisiront la voie du sacrifice, de l’unité, du progrès, du respect de la vie. La vraie question n’est peut-être pas « Dieu, où es-tu ? » Mais « Haïti, où en es-tu avec Dieu, avec toi-même et avec ton destin ? »
Haïti renaîtra. Mais cela dépend de nous.
Joseph Georges DUPERVAL
Coordonnateur Général
BATON JENÈS LA