La crise politique qui secoue actuellement la France, marquée par des tensions institutionnelles, des démissions en cascade, et une défiance croissante envers les élites, met en lumière une dynamique bien connue des systèmes démocratiques : la guerre des ambitions. Derrière les postures idéologiques et les discours de responsabilité nationale, s’impose un constat amer — la politique se transforme souvent en arène de rivalités personnelles et de luttes partisanes où l’intérêt général s’efface au profit des stratégies de conquête du pouvoir.
Ce phénomène, loin d’être propre à la France, trouve un écho particulier dans la situation d’Haïti, où les querelles de leadership et la logique clanique ont plongé le pays dans une crise politique et institutionnelle chronique.
*En France : l’éclatement du consensus républicain*
La crise actuelle en France ne saurait être réduite à un simple désaccord entre le président Emmanuel Macron et l’opposition. Elle révèle plutôt une fragmentation profonde du champ politique, où chaque camp cherche avant tout à consolider sa base électorale plutôt qu’à construire un projet collectif.
Depuis les dernières législatives, l’Assemblée nationale illustre cette paralysie : les partis traditionnels, affaiblis mais toujours influents, les mouvements populistes de gauche comme de droite, et la majorité présidentielle se neutralisent mutuellement.
Le président Macron, fragilisé par des réformes impopulaires et une image jugée technocratique, fait face à une opposition éclatée mais unie dans son hostilité à son égard. Chaque formation cherche à tirer profit du chaos institutionnel : la gauche rêve de recomposition autour de Jean-Luc Mélenchon, la droite traditionnelle d’un retour d’influence, et l’extrême droite de Marine Le Pen prépare déjà le terrain pour 2027.
Ce jeu à somme nulle, où personne ne concède rien, traduit la crise du compromis démocratique : le pouvoir n’est plus perçu comme un instrument de service, mais comme un but en soi.
*En Haïti : la politique comme champ de survie et d’appropriation*
Si la France vit une crise de gouvernabilité dans un cadre institutionnel solide, Haïti, de son côté, affronte une crise existentielle de son système politique. Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, le pays n’a plus de véritable gouvernement légitime, ni de Parlement fonctionnel. Les tentatives de transition se sont succédé, souvent sabotées par des divergences internes entre les acteurs politiques et les élites économiques.
Ici, les ambitions politiques ne se traduisent pas seulement par la quête d’un mandat, mais par une lutte pour le contrôle des ressources, de l’État, et de la reconnaissance internationale.
Chaque groupe — qu’il s’agisse des anciens partis traditionnels, des mouvements citoyens ou des figures autoproclamées de la transition — revendique sa légitimité au nom du peuple, tout en refusant de céder une parcelle d’influence.
Cette guerre des égos, doublée d’une absence de culture institutionnelle, empêche la formation d’un consensus national, pourtant indispensable pour restaurer l’ordre constitutionnel.
La conséquence en est tragique : le vide du pouvoir profite aux groupes armés, aux réseaux économiques informels, et à la méfiance généralisée du peuple envers toute forme de gouvernance. La politique, au lieu d’être un outil de reconstruction, est devenue un instrument de blocage.
*France – Haïti : deux crises, un même mal*
Bien que les contextes diffèrent — stabilité institutionnelle en France, effondrement de l’État en Haïti —, les deux pays partagent une même pathologie : la primauté des ambitions individuelles sur la logique du collectif.
En France, cette logique se traduit par la paralysie démocratique et le rejet des élites ; en Haïti, elle aboutit à l’effondrement de l’État et à la disparition du politique dans le chaos. Dans les deux cas, la fragmentation politique crée un cercle vicieux : plus les acteurs poursuivent leurs intérêts personnels, plus la population se détourne de la politique. La défiance devient alors le moteur du système, nourrissant les extrêmes en France et l’anarchie en Haïti.
Ainsi, le problème n’est pas tant la diversité des opinions que l’incapacité à articuler cette diversité autour d’un projet commun. La démocratie, qu’elle soit libérale ou fragile, ne survit pas à la logique du clan.
*Pour une réhabilitation du bien commun*
La guerre des ambitions, qu’elle prenne la forme de rivalités électorales en Europe ou de luttes de pouvoir en Haïti, révèle une crise profonde du sens de la politique.
Tant que la conquête du pouvoir primera sur sa finalité — le service de la nation et la défense du bien commun —, la démocratie restera vulnérable aux dérives autoritaires, aux populismes ou aux effondrements institutionnels.
Le véritable défi, pour Paris comme pour Port-au-Prince, n’est donc pas de savoir qui gouvernera, mais pourquoi et comment gouverner ensemble. Réhabiliter l’idée de responsabilité collective, refonder la confiance entre gouvernants et gouvernés, et redonner à la politique sa dimension éthique : voilà la seule issue possible face à la guerre des ambitions qui mine nos démocraties.
_Par Gesly Sinvilier_


