Aprè yon tan, son w lòt ooo!
System Band album (Vakans 1983)
Comme dans l’Évangile, le coq a déjà chanté plus de trois fois. Et chaque chant résonne comme un rappel : nous avons beau guetter l’aube, elle tarde à venir.
Moi, je l’ai rencontré en plusieurs occasions.
La première fois, c’était à la fin des années quatre-vingt-dix, à Cité Soleil, dans les parages du centre Catherine Laboure. J’étais alors plongé dans le monde des produits pharmaceutiques. Lui, silhouette vive, intelligence en éveil, traversait déjà le décor avec une gravité qui tranchait dans la poussière des ruelles.
La deuxième fois, en 1999, ce fut à Taraz, lors de la graduation de mon épouse. La promotion portait le nom de Jacques Arthur Durosier, et Boulos en était le parrain. Je me souviens de son verbe, de la façon dont il semblait vouloir insuffler aux jeunes médecins l’élan d’un horizon plus vaste.
Vingt ans plus tard, la troisième rencontre eut lieu à Orlando, lors de la fête des vingt ans de cette même promotion. Moi, j’étais habité par l’évangile des Politiques Publiques, convaincu que sans elles Haïti resterait prisonnière de son gouffre. Lui, alors, emplissait toutes les antennes du pays avec son mouvement de la « troisième voie ». Nous nous sommes croisés sans parler. Pourtant, une question brûlait mes lèvres, et je l’ai portée longtemps en silence.
Cette question, j’ai cru pouvoir la poser en 2016, lorsque je fus choisi comme chef de campagne aux Sénatoriales. Mais le destin préféra refermer la porte : le Leader choisit de le rencontrer seul, au premier comme au second tour. Moi, je continuai ma route, et la victoire vint, mais sans cet échange que j’attendais.
Il fallut l’intercession d’un ami, des années plus tard, pour que la rencontre ait enfin lieu. Ce fut une belle entrevue, claire, sans masque. Je lui posai ma question, il me répondit avec franchise. J’y ai découvert un esprit rare, brillant, un éclat que l’on ne rencontre pas à chaque détour d’une vie. Il proposa que nous rejoignions son parti. Nous avons décliné, mais nous avons gardé ouverte la fenêtre des possibles.
Je le questionnai encore : « Vous êtes autant intéressé par la politique, pourquoi, lui dis-je, avoir ignoré l’invitation à un symposium autour de L’Administration publique : état des lieux et perspectives, où le Dr Rémy Trudel, onze fois ministre au Québec, professeur émérite de l’ENAP, était invité d’honneur ? »
Il eut cette réponse simple : « Yves, je me suis rendu compte de mon erreur quand je l’ai vu à l’émission de Kesner Pharel. »
Nous avons continué à parler, parfois au téléphone. Un jour, il me dit : « Appelle-moi Réginald, je suis ton ami. » J’ai souri et lui ai répondu : « Sorry Doc, même à la maison, il m’arrive d’appeler mon épouse Docteur Charlot. »
Aujourd’hui, alors qu’il est derrière les barreaux, je repense à tout cela. Je repense à cette intelligence fulgurante, à ce destin contrarié, et je me demande : pourquoi les éclats de nos meilleurs esprits s’éteignent-ils si souvent dans les labyrinthes de l’inefficacité et du gâchis ? Pourquoi tant de lumière se perd-elle dans l’ombre, au lieu d’illuminer Haïti ?
Et si, pour une fois, le secteur privé comprenait la nécessité de changer de paradigme ?
J’attends. Comme on attend une justice qui blanchit ou qui condamne, mais qui rarement éclaire.
En attendant, je formule ce vœu : que toutes les intelligences d’Haïti se lèvent, s’accordent, se rassemblent. Et que, de leur chant commun, naisse enfin un joyau au lieu d’une plaie.
Yves Lafortune
Hollywood, le 5 septembre 2025