En matière politique comme en matière de guerre, toute négligence, aussi petite qu’elle soit, de la part de quiconque, se paie au comptant. Car, rappelons-le, cet adage attribué à Benjamin Franklin, cet homme politique, considéré comme l’un des pères fondateurs des Etats-Unis, illustre bien cela : « faute d’un clou, le fer fut perdu ; faute d’un fer, le cheval fut perdu ;faute d’un cheval, le cavalier fut perdu ; faute d’un cavalier, la bataille fut perdue ; faute d’une bataille, le royaume fut perdu ».Ce qui revient à dire que dans une chaîne de responsabilité, n’importe quel maillon défaillant ou dysfonctionnel peut entrainer un effet domino irréversible sur tout un système établi.Pour cela, à quel que niveau que ce soit, la responsabilité doit être toujours rigoureuse. Ainsi, suite au drame irresponsable survenu le lundi 18 août de l’année en cours, devant les locaux du MENFP à Delmas 83, certaines personnes devaient être, ipso facto, sanctionnées en payant la conséquence de leur inconséquence.
Le protocole d’accord entre l’ENS et le MENFP
Il n’est pas inutile de rappeler que c’est depuis le mercredi 22 mai de l’année 2013, qu’un protocole d’accord pour la refondation du système éducatif a été signé entre le titulaire du Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP), et un membre du conseil de Direction de l’École Normale Supérieure (ENS), suivant lequel, la liste de tous les étudiants finissants des sept filières d’étude de cette institution de formation des maitres pour le troisième cycle de l’enseignement fondamental et le niveau secondaire, doit être acheminée vers ledit Ministère pour les suites nécessaires à leur intégration dans le système éducatif [haïtien] pour lequel ils sont censés formés aux frais de l’État. Une démarche qui visait àcombler les besoins relatifs au personnel d’enseignants formés dans le système.
Ensuite ces jeunes professionnels fraichement certifiés sont repartis dans divers établissements scolaires publiques pour effectuer un stage de formation dite de probation dans leur domaine respectif sur une période d’un an et de recevoir leur lettre de nomination et d’affection suivant la réception d’un rapport de stage rédigé à cet effet et conformément aux règles de l’administration publiques en vigueur. Ainsi donc, la nomination et l’affectation des jeunes normaliens et normaliennes deviennent juste l’aboutissement des formalités administratives les plus normales. Suivant ces mécanismes, il y a moyen de connaitre à l’avance, approximativement, combien de nouveau normaliens et normaliennes qui seront insérés chaque année dans le système et même, sur une plus large échelle, on peut dire que l’effectif qui sera intégré en 2035, par exemple, peut être prévu dès aujourd’hui. Étant donné que chaque année l’ENS accueille un effectif stable dans chaque discipline, ce qui fait que les certifiés sont plus ou moins quantifiables a priori.
Conséquences de l’irrespect des engagements pris par l’État
Néanmoins, en dépit de toute cette mise en place, chaque promotion sortante, chaque année se voit dans l’obligation de « faire la guerre » pour décrocher leur « fameuse » lettre de nomination qui fait d’eux fonctionnaires à temps plein ou à temps partiel suivant le cas. C’est ainsi que le vendredi 2 octobre 2020, Grégory Saint-Hilaire, un étudiant finissant, de 29 ans, a été assassiné par un agent de l’Unité de Sécurité Générale du Palais National (USGPN) dans l’enceinte même de l’École Normale Supérieure où il exprimait, en compagnie de ses camarades, son « ras-le-bol » en organisant u mouvement de protestation exigeant la nomination des étudiants finissants de l’ENS dans la fonction publique conformément audit protocole signé en mai 2013 entre le Ministère de l’Éducation Nationale et de la formation Professionnelle et l’École Normale Supérieure. Il s’agissait d’une perte énorme qui est la conséquence d’irresponsabilité des dirigeants de l’État en général, notamment du MENFP qui n’a de cesse de fuir son engagement. Le meurtre du potentiel bachelier, Wanderson ZAMY, s’inscrit dans le cadre de cette velléité du marronnage de responsabilité et de déni d’engagement de la part dudit Ministère.
La mort de Wanderson ZAMY n’aurait pas lieu…
Si les autorités du Ministère étaient sérieuses et inspiraient assez de confiance, ce drame n’aurait pas lieu, car les étudiantsstagiaires n’auraient pas besoin d’aller organiser de sit-in à cet endroit et, cet agent de sécurité « sensible à la gâchette » n’aurait pas eu de prétexte pour dégainer son fusil non plus. Par ailleurs, même si les stagiaires, par souci de vigilance, auraient été trouvé à cet endroit en train d’exiger la réception de leur lettre de nomination, des autorités responsables et conséquentes les auraient dû recevoir à leur bureau pour leur expliquer l’état d’avancement de leur dossier. Malheureusement, les dirigeants de l’Etat considèrent leur bureau comme un « sanctuaire » privé qui n’est accessible qu’à une quantité infime de privilégiés, tandis qu’ils sont censés être là pour recevoir les citoyens et les servir. Pourtant ils choisissent plutôt de marronner en faisant du dilatoire au lieu d’assumer leur pleine responsabilité. De ce fait, cet homicide est, bien évidemment, la conséquence de l’inconséquence des « autorités » du MENFP. Comment expliquer la nécessité de tirer à hauteur d’homme sur une dizaine (ou deux, trois) stagiaires paisibles réclamant, tout bonnement, leur intégration ? En quoi étaient-ils menaçants pour les agents de sécurités qui s’accordaient de tirer à bout portant sur eux ? S’agit-il d’un acte prémédité à l’égard des stagiaires, cet acte qui a, malencontreusement, coûté la vie au jeune Wanderson Zamy ? De toute façon, on admettra que si les quelques stagiaires avaient pu rencontrer le Ministre, ce dernier n’aurait pas l’occasion malheureuse de rencontrer les parents de Wanderson.
Ne s’agit-il pas des conséquences de la mauvaise foi des dirigeants ?
Dans un communiqué pour la presse publié le lendemain du meurtre, le bureau de communication du Ministère dit condamner sans réserve cet acte odieux perpétré sur le jeune Wanderson ZAMY, à l’occasion d’un sit-in organisé par une dizaine d’enseignants-stagiaires devant les locaux du bureau central dudit ministère. Si pour seulement une dizaine de stagiaires, on est obligé de se servir de son arme pour les réprimer et si c’était un millier de professeurs qui s’amassaient devant ces locaux, comment réagiraient-ils ? Dans les mêmes veines, le communiqué a souligné que le Ministre en question, Monsieur Augustin ANTOINE après avoir rencontré dans la matinée du 19 août les parents de la victime, entend présenterpubliquement ses sincères sympathies à la famille […], nous ne pensons pas que c’était le plus important à faire, pour manifester sa bonne foi, il vaudrait mieux de remettre, sur le champ, cet agent qui a dégainé son arme, à la police. Parce que cela s’est passé au su et au vu de tout le monde. De plus, la cour du ministère est couverte de caméras de surveillance qui peuvent leur permettre de voir précisément celui qui a tiré et dans quelle circonstance il avait tiré. Au moins, en agissant ainsi, on n’aurait pas besoin d’enclencher une enquête qui risque de se poursuivre à jamais pour un homicide aussi spectaculaire et irresponsable.
La note de presse du MENFP a pris fin en rappelant la nécessité pour les partenaires sociaux de continuer à utiliser les mécanismes institutionnels devant faciliter les échanges tout en aidant plus rapidement à trouver de bonnes solutions dans l’intérêt de l’école. Je me demande, perplexe, quelles solutions rapides/efficaces ont été trouvées pour [dans l’intérêt de] l’école suite aux échanges qui ont été engagés en décembre de l’année 2024 ? N’est-ce pas au contraire, de tels échanges ont provoqué le lancement d’une grève générale illimitée dans les écoles publiques, depuis janvier 2025 à ce jour ?
Le réflexe de la banalisation de la vie des citoyens paisibles des couches populaires
Il est un fait qu’en Haïti, la vie des pauvres gens ne valent rien aux yeux de l’État. Il n’est pas superflu de rappeler que ce n’est pas la première fois qu’on a enregistré de mort devant le bureau central de ce Ministère, car sous le règne du Ministre Joël Desrosiers JEAN-PIERRE, un agent du Corps d’Intervention pour le Maintien d’Ordre (CIMO), sous l’ordre d’un responsable de la sécurité du Ministre, a fusillé à bout portant , le Professeur de Mathématiques, Jean Filbert LOUIS, d’une bonbonne de gaz lacrymogène à la tête, le 17 octobre 2010 devant les locaux du MENFP à la rue Audain ; ce syndicaliste, membre de l’Union Nationale des Normaliens et Normaliennes d’Haïti (UNNOH), manifestait paisiblement pour exiger à l’État de meilleures conditions de travail pour les enseignants et surtout de prendre des dispositions nécessaires pour libérer les espaces d’établissements scolaires occupés, à l’époque, par les rescapés du séisme du douze janvier 2010.
En définitive, autant que je me rappelle, trois cadres ont au moins été tués alors qu’ils exprimaient des revendications justes et légitimes auprès de ce ministère en moins de de deux décennies. Cela suffit. Il faut que cela cesse et que le MENFP change son fusil d’épaule. Pour cela, il faut qu’il y ait un leadership d’État cohérent et responsable au ministère. Il faut que justice soit rendue au parents de Wanderson Zamy !
Jean Willy BELFLEUR,
Normalien Supérieur,
Enseignant-chercheur,
Pédagogue & Auteur