Par Jean Venel Casséus
À première vue, avouons-le, si la question ne vous paraît pas stupide, sa réponse vous semble être simple : un journaliste est celui qui informe. Parfait. Mais à l’heure où les frontières entre information, communication, influence, marketing et opinion s’effacent dans le tumulte numérique, cette définition mérite d’être non seulement revendiquée, mais aussi et surtout précisée. Car il ne suffit pas de diffuser un contenu pour être journaliste, pas plus qu’il ne suffit d’être vu ou suivi pour incarner une autorité sur l’information. Il faut alors interroger ce qu’est le journalisme, sa place dans l’ensemble plus vaste qu’est la presse, son interaction avec les autres acteurs de cet univers, et ce que l’émergence d’Internet et des réseaux sociaux a bouleversé, jusqu’à brouiller les repères mêmes de la profession.
Le journalisme, il faut le rappeler, n’est qu’un pan de l’édifice plus large qu’est la presse, laquelle ne constitue en rien une entité homogène. Elle rassemble une diversité d’activités, d’outils, de supports et de finalités : communication institutionnelle, publicité, éditorial, animation, tribunes d’opinion, sensibilisation, divertissement. Le journalisme y occupe une place spécifique et exigeante : celle de la vérification, de l’investigation, de la mise en contexte et, surtout, de la hiérarchisation rigoureuse de l’information en fonction de l’intérêt public.
Le journaliste n’est donc ni un porte-voix, ni un relais, ni un influenceur : il est un observateur structuré du réel. Il choisit, construit, restitue une information qui doit pouvoir être vérifiée, confrontée, et discutée dans l’espace public. Là réside sa fonction démocratique : il éclaire, sans séduire ; il questionne, sans plaire ; il révèle, parfois au détriment du consensus.
Cette spécificité du journalisme entre souvent en tension avec d’autres logiques internes à la presse. Le communicant vend une image ; le chroniqueur exprime un point de vue ; l’influenceur cherche l’audience quitte à se mettre à poil. Le journaliste, lui, a pour exigence de ne pas confondre ces fonctions. Pourtant, dans la pratique contemporaine, ces rôles se chevauchent de plus en plus. L’impératif de rentabilité, la pression du buzz, et la culture de l’instantanéité tendent à diluer l’éthique journalistique dans un brouillard de contenus hybrides.
Il devient alors difficile pour le public de distinguer ce qui relève de l’enquête, de la propagande ou du placement de produit. La confusion n’est pas fortuite : elle sert des intérêts. C’est précisément là que l’identité du journaliste doit se redéfinir avec force et rigueur.
L’arrivée d’Internet a été vécue, au départ, comme une promesse d’émancipation : fin du monopole de l’information, circulation horizontale des savoirs, accès démocratisé à la parole publique. Mais cette ouverture a eu un coût : la désintermédiation de la production d’information. Chacun peut aujourd’hui se dire « journaliste », en produisant une vidéo, en publiant régulièrement des posts Facebook, en créant un fil Twitter, sans méthode, sans formation, sans engagement déontologique. Les réseaux sociaux ont radicalement déplacé le centre de gravité de la diffusion de l’information, au profit d’algorithmes, de popularité et d’engagement émotionnel.
La logique éditoriale s’est vue supplantée par la logique virale. Le journaliste ne maîtrise plus le cadre de réception de son travail ; il est concurrencé, dépassé, parfois même discrédité par des figures plus visibles mais moins rigoureuses.
Dans ce monde en perpétuelle mutation, il est nécessaire de redonner au mot journaliste sa force, sa clarté et sa fonction, particulièrement dans un pays comme Haïti où, faute d’éducation, il suffit de savoir dire qu’un chien est un chat à répétition pour qu’en l’espace d’un clignement, tout le monde l’accepte et l’acte sans changer ni l’apparence ni la nature du chien. Est-ce pourquoi, il faut qu’on insiste à le dire : un journaliste, c’est un professionnel de l’information d’intérêt public, dont le travail repose sur une méthode (recherche, recoupement, hiérarchisation), une éthique (indépendance, responsabilité, transparence), et une finalité (éclairer les faits pour rendre possible le jugement des citoyens).
Le journaliste n’est ni un simple relais, ni un entrepreneur de contenus, ni un militant. Il peut s’engager, certes ; il peut s’adapter, sans doute. Mais il doit, avant tout, tenir la ligne invisible mais cruciale entre informer et manipuler, entre exposer et instrumentaliser. C’est là que réside sa légitimité. Et c’est cette ligne, aujourd’hui, que je défends avec lucidité.
05 mai 2025
A Propos de l’auteur
Jean Venel Casséus est journaliste, écrivain, poète, parolier et spécialiste en défense. Fort de plus de vingt ans d’expérience journalistique entre Radio Haïti Inter, Radio Kiskeya, Radio Caraïbes et la presse écrite, en Haïti comme à l’étranger, il allie rigueur intellectuelle et engagement professionnel. Titulaire d’une maîtrise en défense et sécurité des Amériques du Collège Interaméricain de Défense (classe 55), il y a reçu la médaille « De l’Excellence » . Engagé dans les nouveaux médias, il est le concepteur de Boutilye, plateforme innovante de radiodiffusion numérique, et d’AyitiLiv.com, première bibliothèque numérique dédiée aux auteurs haïtiens.