Par Jean Venel Cassรฉus
Nous, auditeurs, tรฉlรฉspectateurs, lecteurs, en Haรฏti comme dans la diaspora, exigeons des mรฉdias quโils nous informent en temps rรฉel, avec rigueur, professionnalisme et sens du devoir. Nous ne nous contentons pas des รฉchos qui circulent sur les rรฉseaux sociaux. Nous attendons que les patrons de presse mobilisent leurs รฉquipes pour vรฉrifier, recouper, confirmer ou infirmer ce qui se dit, sโรฉcrit, se montre. Car nous croyons encore, profondรฉment, en la lรฉgitimitรฉ des mรฉdias dits traditionnels pour distinguer le vrai du faux, lโimportant de lโaccessoire, le fait de lโopinion.
Nous les pressons dโรชtre vigilants, nous les exhortons ร รชtre courageux, nous leur intimons lโordre dโรชtre constants dans leur posture de contre-pouvoir. Mais nous ne leur posons jamais la question essentielle : de quoi subsistent-ils ? ร quel prix, ร quel sacrifice, les mรฉdias haรฏtiens rรฉussissent-ils encore ร tenir debout dans un pays oรน toutes les structures sโeffondrent ?
En Haรฏti, le systรจme dโabonnement est inexistant ou marginal, et les habitudes de consommation gratuite de lโinformation empรชchent lโรฉmergence dโune culture de contribution citoyenne. Les mรฉdias traditionnels, quant ร eux, ne peuvent rivaliser avec les plateformes numรฉriques sur le terrain des ยซ vues ยป et des revenus gรฉnรฉrรฉs par la publicitรฉ en ligne. Et pour couronner le tout, les entreprises haรฏtiennes, exsangues face ร une crise รฉconomique prolongรฉe, ferment leurs portes les unes aprรจs les autres. Le marchรฉ publicitaire sโest effondrรฉ. Il ne reste que quelques institutions internationales ou ONG qui financent ponctuellement des รฉmissions ร caractรจre รฉducatif ou social, sans aucune garantie de stabilitรฉ.
Dans ce vide financier, les patrons de presse doivent pourtant faire tourner des rรฉdactions entiรจres. Ils emploient des milliers de journalistes, techniciens, animateurs, cameramen, monteurs, qui nโont pour seul gagne-pain que ces mรฉdias. Ils doivent couvrir lโactualitรฉ dans un pays en guerre contre lui-mรชme, traverser des zones de non-droit, fuir les balles, dรฉmรฉnager les studios, improviser des antennes provisoires. Certains ferment, dโautres survivent. Mais tous vacillent.
Alors, pour combien de temps encore ces mรฉdias pourront-ils subsister ? La question mรฉrite dโรชtre posรฉe, frontalement, lucidement. Car si rien ne change, si aucune rรฉflexion collective nโest menรฉe sur un modรจle รฉconomique adaptรฉ aux rรฉalitรฉs haรฏtiennes, si aucune solidaritรฉ concrรจte ne se manifeste (notamment de la part de lโรtat et des partenaires internationaux), le silence risque de sโinstaller, et avec lui, lโopacitรฉ. Sommes-nous prรชts ร lโassumer ?
6 mars 2025
A propos de l’auteur
Jean Venel Cassรฉus est journaliste, รฉcrivain, poรจte, parolier et spรฉcialiste en dรฉfense et sรฉcuritรฉ des Amรฉriques. Fort de plus de vingt ans dโexpรฉrience journalistique entre Radio Haรฏti Inter, Radio Kiskeya, Radio Caraรฏbes et la presse รฉcrite, en Haรฏti comme ร lโรฉtranger, il allie rigueur intellectuelle et engagement professionnel. Titulaire dโune maรฎtrise en dรฉfense et sรฉcuritรฉ des Amรฉriques du Collรจge Interamรฉricain de Dรฉfense (classe 55), il y a reรงu la mรฉdaille ยซ De lโExcellence ยป . Engagรฉ dans les nouveaux mรฉdias, il est le concepteur de Boutilye, plateforme innovante de radiodiffusion numรฉrique, et dโAyitiLiv.com, premiรจre bibliothรจque numรฉrique dรฉdiรฉe aux auteurs haรฏtiens.