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Vertières à Montréal : Symbole de liberté ou miroir des discriminations ?

La bataille de Vertières, le 18 novembre 1803, est inscrite dans l’histoire universelle comme l’ultime affrontement ayant conduit à l’indépendance d’Haïti, première république noire libre du monde. Pour les Haïtiens, Vertières symbolise la dignité, la résistance et la victoire contre l’oppression coloniale. Imaginer une station de métro à Montréal portant ce nom aurait de quoi remplir de fierté la diaspora haïtienne. Mais une telle initiative soulève une question essentielle : ce geste symbolique suffirait-il à refléter les réalités vécues par les Haïtiens de Montréal, confrontés au quotidien à des discriminations systémiques et à des obstacles à l’intégration ?

Nommer une station Vertières aurait une portée qui dépasse largement les frontières de la diaspora. Montréal reconnaîtrait ainsi une lutte qui appartient à l’humanité entière : celle contre l’esclavage et pour la liberté. Ce choix mettrait également en lumière la présence historique et l’apport de la communauté haïtienne au Québec, qui constitue la plus grande diaspora haïtienne au Canada. Un tel geste serait accueilli avec enthousiasme comme une victoire symbolique, un signe d’appartenance et de reconnaissance officielle.

Mais un symbole ne remplace pas la réalité

La fierté ne suffit pas à masquer les réalités sociales. Les Haïtiens de Montréal continuent d’affronter des barrières structurelles qui compliquent leur intégration. Ces obstacles tiennent, entre autres, à la perte de statut social, à la non-reconnaissance de leurs diplômes et compétences, ainsi qu’à une insertion difficile sur le marché du travail. Malgré un haut niveau de scolarisation, leurs trajectoires sont souvent marquées par le chômage, le sous-emploi et des obstacles qui empêchent l’accès à des emplois correspondant à leur formation. L’emploi, pourtant identifié comme un levier essentiel de l’intégration dans une société d’accueil (Boulet, 2016), devient ainsi une source de désillusion.

À cela s’ajoutent des discriminations persistantes dans l’accès au logement et à l’emploi, ainsi qu’un profilage racial qui touche de manière disproportionnée les jeunes hommes noirs, trop souvent stigmatisés et surreprésentés dans les statistiques policières. Ces réalités, renforcées par une image médiatique réductrice associant la communauté haïtienne à la pauvreté et à la violence, occultent ses réussites et ses multiples contributions. Dans ce contexte, des gestes symboliques tels que baptiser une station Vertières risquent de sonner creux s’ils ne s’accompagnent pas de mesures structurelles concrètes en matière de reconnaissance, d’égalité des chances et de lutte contre les discriminations systémiques.

Pendant qu’on célèbre la bataille de Vertières à Montréal, il ne faut pas oublier les Haïtiens et Haïtiennes qui, aujourd’hui encore, mettent leur vie en danger en traversant la frontière canado-américaine dans l’espoir d’obtenir un statut, une dignité et une place reconnue dans cette société. Leur courage rappelle que la quête de liberté et de reconnaissance n’appartient pas qu’au passé : elle se joue aussi, chaque jour, dans le présent.

Pour que le choix de baptiser une station Vertières ait une véritable portée, il importe d’articuler le symbole et l’action. Ce geste ne doit pas se limiter à un acte de visibilité, mais s’inscrire dans une démarche concrète et cohérente. D’abord, il doit s’accompagner d’un engagement institutionnel fort, visant à renforcer la lutte contre les discriminations systémiques en emploi, en éducation et dans l’accès aux services publics. Ensuite, un travail pédagogique est essentiel : la station pourrait accueillir des plaques, des fresques ou des expositions rappelant la bataille de 1803 et mettant en lumière la contribution de la diaspora haïtienne à la société québécoise. Elle pourrait également devenir un espace de mémoire vivante, un lieu de rencontres, de commémorations et d’événements culturels célébrant la diversité montréalaise. Enfin, une cohérence politique est nécessaire : Vertières ne doit pas se réduire à un simple nom, mais devenir un point d’ancrage pour une véritable politique de reconnaissance et d’inclusion.

Nommer une station de métro Vertières à Montréal serait un geste hautement symbolique, capable de nourrir la fierté d’une communauté et de rappeler à tous la force universelle de la liberté. Mais ce symbole doit être un levier de justice sociale, pas un simple ornement dans le décor urbain. Autrement, il risque de devenir un miroir trompeur : une victoire de façade qui reflète mal la dure réalité des discriminations et des difficultés d’intégration. Vertières fut le lieu où des esclaves ont renversé l’ordre colonial. Si Montréal choisit ce nom, elle devra aussi accepter le défi d’un combat plus proche : bâtir une société réellement égalitaire, où la mémoire des luttes passées inspire les victoires présentes.

Evenold Senat

Sociologue

Spécialiste en gestion du développement international et de l’action humanitaire.

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