Le climat au sommet de l’État haïtien devient de plus en plus tendu alors que la passation de la présidence du Conseil présidentiel de Transition approche. Dans un contexte marqué par des allégations de corruption, des tensions internes et des accusations d’ingérence étrangère, le président sortant du CPT, Fritz Alphonse Jean, dénonce ce qu’il appelle une campagne de déstabilisation et de désinformation.
Une passation contestée : rumeurs de complot contre Laurent Saint Cyr
Laurent Saint Cyr, représentant du secteur privé, doit prendre la tête du CPT ce 7 Août 2025, conformément à l’accord de rotation signé lors de la mise en place de cette structure en 2024. Cependant, selon plusieurs sources politiques, un complot serait en cours pour bloquer cette passation et provoquer la chute du Premier ministre Alix Didier Fils Aimé.
Des rumeurs persistantes font état d’un financement secret destiné à appuyer cette manœuvre. Bien que les États-Unis n’aient cité aucun nom, une note du Département d’État évoque des tentatives de corruption au sein du CPT, félicitant ceux qui ont « refusé d’y céder ».
Intervenant sur les ondes de Radio Magik 9, Pierre Espérance, directeur exécutif du RNDDH, confirme que des tractations sont bel et bien en cours pour obtenir le remplacement du Premier ministre. Selon lui, certains acteurs politiques, y compris au sein du Conseil présidentiel de transition, seraient prêts à débourser d’importantes sommes d’argent pour y parvenir. Toutefois, estime-t-il, la conjoncture actuelle rend hautement improbable la formation d’une majorité au sein du CPT pour faire aboutir un tel projet, compte tenu des divisions internes.
Dans une note publiée sur X, le Bureau des affaires de l’hémisphère occidental du Département d’État américain affirme être informé de manœuvres visant à perturber la stabilité politique en Haïti. Le même message renouvelle son soutien à la coopération entre le Conseil présidentiel et le Premier ministre, tout en promettant de tenir pour responsables les acteurs cherchant à perturber cette collaboration.
Fritz Jean réagit : « Ce n’est pas un complot »
Dans des interviews données tour à tour à Radio Métropole et AyiboPost, Fritz Alphonse Jean a tenu à clarifier plusieurs points. Il dément toute manœuvre illégitime visant à remplacer le Premier ministre et affirme que le débat sur la performance du gouvernement est légitime et inscrit dans les prérogatives de la présidence du CPT.
« Ce n’est pas un complot. C’est tout à fait normal de questionner la performance du Premier ministre et du gouvernement en général », soutient-il. Jean assure par ailleurs que la passation de la présidence avec Laurent Saint Cyr aura bel et bien lieu, malgré les soupçons. Il dénonce une campagne de rumeurs orchestrée pour miner la légitimité du processus et bloquer l’arrivée du représentant du secteur privé à la tête du Conseil.
Des propos controversés sur le tandem Saint Cyr – Fils Aimé
Sur Radio Métropole, Fritz Jean a aussi exprimé ses inquiétudes quant à la concentration des deux plus hauts postes de l’exécutif — président du CPT et Premier ministre — entre les mains d’un seul groupe social, évoquant ouvertement même la question du colorisme.
« Si deux branches de l’exécutif sont représentées par une seule catégorie, cela va réveiller des démons cachés », a-t-il lâché, relançant ainsi un débat sensible sur les fractures raciales et sociales en Haïti.
Une présidence qui rejette les critiques
Interrogé sur son propre bilan à la tête du CPT depuis février 2025, Fritz Jean a surtout rejeté la responsabilité des échecs sur les autres composantes du pouvoir, en particulier sur le gouvernement. Il critique le manque d’initiative du Premier ministre et une administration paralysée, mais sans véritablement assumer ses responsabilités en tant que président du Conseil.
Cette posture a été critiquée par plusieurs observateurs, dont Pierre Espérance, qui pointe du doigt une présidence peu efficace, dans un contexte où le CPT souffre d’un grave manque de coordination et de vision collective.
L’ombre persistante de l’ingérence américaine
Le message du Département d’État américain est perçu par plusieurs acteurs politiques et analystes comme un soutien tacite au Premier ministre en poste, mais également comme une nouvelle manifestation de l’ingérence étrangère dans les affaires internes d’Haïti.
En 2021 déjà, les États-Unis avaient arbitré une rivalité politique autour du poste de Premier ministre en soutenant Ariel Henry contre Claude Joseph.
Une transition paralysée et un pays à la dérive
Depuis la mise en place du CPT, très peu d’avancées concrètes ont été observées. Hormis l’inauguration d’un centre d’appel national, d’une école et la tenue de trois conseils des ministres en cinq mois, le Conseil présidentiel n’a pas répondu aux attentes de la population.
Sur le terrain, la situation se dégrade : les gangs contrôlent près de 90 % de la capitale, 1,3 million de déplacés internes sont recensés, et la moitié de la population vit dans l’insécurité alimentaire. La colère monte face à une transition incapable d’organiser les élections ou de restaurer la sécurité.
Vers un tournant ou un enfoncement dans la crise ?
Alors que l’arrivée de Laurent Saint Cyr à la tête du Conseil présidentiel devrait avoir lieu dans les prochaines heures, le climat est marqué par une méfiance généralisée, des accusations croisées, et une absence de cap clair.
La transition, déjà critiquée pour son illégitimité, s’enfonce dans un jeu de pouvoir sans résultat tangible. L’heure est à l’incertitude. Pour beaucoup, la seule issue viable passe par un dialogue politique élargi et inclusif, débouchant sur des élections crédibles et une refondation du contrat social haïtien.
La Rédaction


