Alors que l’insécurité continue de paralyser les activités économiques, sociales et politiques en Haïti, de nombreuses voix s’élèvent pour questionner le silence prolongé autour de la fameuse Task Force créée par la Primature. Mise en avant au moment fort de la crise sécuritaire, cette structure semblait incarner une volonté de reprise en main par les autorités haïtiennes. Or, plusieurs mois après son annonce en grande pompe, la Task Force s’est évaporée dans le brouillard institutionnel.
Une annonce pleine de promesses non encore concrétisées ?
C’est en mars dernier, dans le sillage des violences extrêmes orchestrées par des groupes armés, que la Primature avait annoncé la mise en place d’une Task Force de crise, chargée de coordonner l’action sécuritaire du gouvernementale face à la dégradation de la situation. L’objectif : assurer une meilleure synergie entre les forces de l’ordre, les autorités locales, les partenaires internationaux, et préparer un plan de réponse « musclé et structuré ».
Mais depuis cette annonce, peu ou pas d’informations n’a filtré. Aucun rapport d’étape, aucune conférence de presse, aucune évaluation de ses travaux. Les rares ministres interrogés sur la question semblent embarrassés, et le Bureau de communication de la Primature reste mutique.
Le fameux « budget de guerre » : réalité ou marketing politique ?
Dans le même élan, le président du CPT avait évoqué un « budget de guerre », censé mobiliser des ressources exceptionnelles pour renforcer les capacités de la Police Nationale d’Haïti (PNH), améliorer les renseignements, sécuriser les axes stratégiques, relocaliser les populations déplacées et financer la reconstruction de certains services publics détruits ou contrôlés par les gangs.
Pourtant, là encore, aucun détail n’a été communiqué quant au montant réel, aux lignes budgétaires impliquées, aux bailleurs sollicités ou aux mécanismes de suivi. Si certaines opérations policières ont eu lieu sporadiquement, elles semblent bien éloignées d’une stratégie de guerre globale et coordonnée. Plusieurs experts nationaux évoquent même l’absence de ce fameux « budget de guerre » dans les documents publics officiels.
Exigence de bilan
Dans sa correspondance adressée au Premier ministre, le 9 juillet dernier, dont copie a été, sciemment, remise à la presse avant même d’être acheminée au concerné, le Président du Conseil de Transition sollicite un état de la situation sur plusieurs dossiers notamment le bilan de la task force. Considérée comme l’une des mesures extraordinaires prises pour combattre l’insécurité, la task force s’est montrée inefficace avec aucun chef de gang neutralisé. Aucun !
Une attitude qui agace Fritz Alphonse Jean enjoignant Alix Didier Fils-Aimé de fournir « les informations susceptibles de mettre le CPT en mesure d’analyser et d’apprécier les résultats escomptés des initiatives prises par rapport aux ressources engagées pour le fonctionnement de la task force ».
Selon le promoteur du budget de guerre, cette demande d’informations est faite dans une perspective de produire un bilan complet en matière de sécurité, de telle sorte que les meilleures décisions soient prises au profit de la population. Une demande légitime pour le pays qui souffre à longueur de journée.
Une communication politique sans suivi ?
Pour nombre d’observateurs, ces annonces relèvent davantage d’une opération de communication destinée à rassurer une population désespérée et à contenir la pression internationale. « La Task Force ? Elle est très peu efficace. Ce n’était qu’un leurre. Le budget de guerre ? Pris dans une zone d’ombre ».
De plus, l’absence de transparence et de comptes rendus publics nourrit la méfiance. Pour une population qui endure quotidiennement les affres de l’insécurité — assassinats, enlèvements, déplacements forcés —, cette opacité est vécue comme une trahison.
Un besoin de clarté et d’action
À l’heure où la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) s’installe timidement sur le terrain, la clarté autour des engagements nationaux devient plus cruciale que jamais. Les Haïtiens veulent savoir : qui coordonne la réponse ? Où vont les fonds alloués ? Quelle est la stratégie de sortie de crise ?
Le temps des slogans semble révolu. Désormais, ce sont les résultats concrets, les bilans chiffrés et la reddition de comptes qui sont attendus. Sans cela, toute stratégie de stabilisation — interne comme internationale — court le risque de perdre sa légitimité aux yeux d’une population déjà épuisée.
Gesly J. Sinvilier