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Soudan: El-Fasher, le massacre des innocents sous le silence

Par Jean Wesley Pierre

Soudan, 3 novembre 2025 — El-Fasher n’est plus une ville. C’est un charnier à ciel ouvert.
Une semaine après sa chute, le 26 octobre 2025, la capitale du Darfour du Nord s’est transformée en symbole d’un génocide filmé en direct, documenté par les satellites, mais ignoré par les chancelleries. Les Forces de soutien rapide (FSR), milice paramilitaire issue des tristement célèbres janjawids, ont pris possession de la ville après dix-huit mois de siège. Ce qui s’y déroule depuis défie l’imagination humaine : exécutions sommaires, viols collectifs, pillages, disparitions massives.

« Le sang est visible depuis l’espace », résume NBC News. Et pourtant, l’espace médiatique occidental, lui, reste étrangement vide.

Un massacre méthodique et documenté

Les témoignages concordent : les FSR ont ouvert le feu sur des civils en fuite, écrasé des familles sous des camions, abattu des enfants à bout portant.

« Sous mes yeux, un soldat a abattu mon fils et m’a ordonné de partir… », confie à Sudan Tribune Madiha Al-Tom Bashir, réfugiée à Tawila.

Le rapport du Yale Humanitarian Research Lab est accablant : absence de mouvement massif de population ( preuve que la majorité des civils sont morts ou capturés ), amas de corps observés par satellite, traces de sang progressivement effacées. Un effacement planifié, industriel.
À El-Fasher, les FSR n’ont pas seulement pris une ville ; elles ont tenté d’effacer un peuple.

Vingt ans après les massacres du Darfour, les mêmes milices, les mêmes crimes, la même impunité.
Mais cette fois, pas de cri d’indignation hollywoodien, pas de concert humanitaire, pas de “Save Darfur” sur les plateaux télé.

Le monde a la mémoire courte et la conscience sélective.
Le New York Times le rappelle : les FSR sont les descendants directs des milices arabes janjawids, responsables de la mort de 300 000 personnes dans les années 2000. À l’époque, la Cour pénale internationale (CPI) avait inculpé Omar el-Béchir pour génocide. Aujourd’hui, elle “enquête” encore.

Pendant ce temps, les mêmes forces paramilitaires sèment la mort, cette fois avec un soutien régional assumé : les Émirats arabes unis, selon nombreux experts locaux, puissants financiers de la milice, mais aussi alliés stratégiques de Washington et de Paris.
L’hypocrisie internationale n’a jamais été aussi nue.

Après El-Fasher, c’est au tour du Kordofan d’être englouti par la guerre.
L’ONU alerte : plus de 36 000 civils ont fui en une semaine, tandis que la famine s’étend.
Les villes de Bara, Um Rawaba, Kadugli deviennent les nouveaux théâtres d’exécutions, de bombardements et d’enlèvements.

Les femmes, en particulier, sont “délibérément prises pour cibles”, selon un rapport conjoint d’OCHA et d’ONU Femmes.
Violées, enlevées, réduites en esclavage sexuel, certaines sont relâchées après des mois de détention, souvent enceintes. D’autres meurent en captivité.

Médecins sans frontières ( MSF ) confirme : 56 % des victimes de violences sexuelles au Darfour du Sud ont été agressées par des hommes en uniforme.
Le système de santé, déjà à l’agonie, s’effondre. Les survivantes n’ont ni soins, ni justice.

L’indifférence comme arme

Le silence est devenu la complicité du XXIᵉ siècle.
Alors que les massacres s’étalent sur les réseaux sociaux, aucune capitale occidentale n’a imposé de sanctions sérieuses ni d’embargo sur les armes.
Pas même une résolution claire du Conseil de sécurité.

Les négociations menées par les États-Unis, l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats sont dans l’impasse parce que ces mêmes puissances sont à la fois juges et parties, fournisseurs d’armes et bailleurs de guerre.
La France, partenaire stratégique d’Abou Dhabi, se tait.
L’Union africaine reste impuissante.
Et les médias, absorbés par Gaza ou l’Ukraine, relèguent le Soudan au bas du fil d’actualité comme si la hiérarchie des morts dépendait de la géographie.

“Free Sudan” : les rares voix qui s’élèvent

Quelques rares figures politiques et culturelles tentent de rompre le mur du silence.

La députée française Nadège Abomangoli a tweeté :

« Depuis deux ans, la guerre plonge le Soudan dans l’une des pires crises humanitaires du monde : 13 millions de déplacés, la moitié de la population affamée. #FreeSoudan »

Le rappeur La Fouine a joint sa voix à celle des peuples opprimés :

« Une pensée à tous les peuples opprimés 🤍 #FreeCongo #FreePalestine #FreeSoudan #FreeLiban »

Et la vice-présidente de l’Assemblée nationale Clémence Guetté appelle à
« un cessez-le-feu immédiat, un embargo sur les armes, et l’ouverture humanitaire sans condition. »

Mais ces voix demeurent isolées face à un système international saturé de cynisme.

El-Fasher n’est pas un simple drame humanitaire.
C’est un crime de masse, un nettoyage ethnique, une faillite morale de la communauté internationale.

Le monde a promis “Plus jamais ça” après le Rwanda, après Srebrenica, après le premier Darfour.

Et pourtant, les flammes reviennent, les femmes sont violées, les villages rasés, les enfants exécutés.
Ce ne sont plus les satellites qui devraient témoigner, mais les consciences.

À El-Fasher, le sang est visible depuis l’espace.
Mais il devrait surtout l’être dans nos yeux, nos rues, nos voix.
Car l’histoire jugera moins les bourreaux que ceux qui ont regardé ailleurs.

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