Depuis la Constitution de 1987, Haïti a voulu mettre en place un système de collectivités territoriales capable de rapprocher l’État des citoyens, de promouvoir la démocratie locale et de stimuler le développement des territoires. La loi prévoyait trois niveaux : les sections communales, les communes et les départements, chacun doté d’instances délibératives et exécutives. L’objectif était clair : donner aux populations locales le pouvoir de gérer leurs affaires, tout en garantissant la participation populaire et l’autonomie locale.
Une mission constitutionnelle restée largement théorique
Dans la réalité, cette mission n’a jamais été accomplie. Les sections communales, qui devraient être le socle de la démocratie locale, fonctionnent souvent sans moyens, sans bureaux et sans budget propre. Les communes, dirigées par des mairies incapables de mobiliser les ressources nécessaires, ne peuvent pas assurer les services essentiels tels que l’état civil, la gestion des déchets ou l’entretien des routes. Les départements, eux, n’ont jamais vu l’installation de véritables conseils élus et restent dominés par des délégués nommés par le pouvoir central.
Les collectivités territoriales existent sur le papier, mais leur autonomie est quasi nulle, leur rôle symbolique et leur fonctionnement dépend entièrement du pouvoir central. Ce déséquilibre centraliste empêche toute planification cohérente et bride le développement local.
Des ressources théoriques mais insuffisantes et mal gérées
La Constitution et la loi ont prévu des ressources pour financer les collectivités : impôts fonciers, patentes commerciales, taxes de marchés publics et autres droits locaux. De plus, un Fonds de Gestion et de Développement des Collectivités Territoriales a été créé pour alimenter les budgets locaux. Cependant, ces mécanismes restent inefficaces. Les taxes locales sont rarement perçues correctement, les fonds sont centralisés et redistribués de manière irrégulière, et la population ne paie souvent pas faute de services visibles. Les collectivités survivent ainsi dans une dépendance totale et une incapacité structurelle à exercer leurs missions.
Des élus non formés et abandonnés
Une autre faiblesse majeure réside dans les compétences des élus. La majorité des CASEC, ASEC, maires et délégués n’ont reçu aucune formation en administration publique, fiscalité, planification territoriale ou gouvernance. Leur légitimité repose sur la popularité ou les liens politiques, non sur la compétence. Privés de formation et de suivi technique, ils improvisent la gestion locale, souvent dans l’inefficacité et le désordre, ce qui entraîne une mauvaise utilisation des ressources et un sentiment d’abandon chez la population.
Le rôle manqué des partis politiques
Les partis politiques devaient être les piliers de l’encadrement des élus locaux. Ils devaient former les militants, préparer des programmes cohérents et produire une élite politique capable de gérer les collectivités. En Haïti, c’est le contraire qui s’est produit. Les partis utilisent les collectivités comme instruments électoraux, privilégient la loyauté au détriment de la compétence et ne disposent souvent d’aucune structure locale. Cette situation a créé un système où les élus sont dépendants du parti et non au service des populations.
La prolifération de partis sans base populaire
Le problème est renforcé par la multiplication de partis légalisés qui n’ont ni membres actifs ni implantation réelle sur le territoire. Beaucoup de ces partis n’existent que sur papier et représentent une infime minorité de citoyens. Cette fragmentation affaiblit la démocratie, divise la société et laisse les collectivités locales sans relais politique crédible. Elle contribue également à la centralisation excessive et à la désillusion des citoyens vis-à-vis de la politique officielle.
Le cercle vicieux
Le manque de moyens, l’incompétence des élus, l’absence de formation et l’utilisation des collectivités comme instruments politiques créent un cercle vicieux. Les collectivités sont inefficaces, la population perd confiance, et le pouvoir central continue de contrôler l’ensemble du système. Les élus locaux sont isolés, non encadrés et incapables de jouer leur rôle.
Une politique de refondation urgente
Pour briser ce cercle, il est impératif d’adopter une politique de décentralisation réelle et citoyenne. Les collectivités doivent disposer de ressources financières autonomes, grâce à une fiscalité locale modernisée et transparente. Les élus doivent recevoir une formation obligatoire et continue à travers une École nationale de gouvernance territoriale, afin d’acquérir les compétences techniques et administratives nécessaires. Les partis politiques doivent être réformés pour exiger un minimum de membres, une implantation territoriale et un programme de développement clair, garantissant un encadrement réel des élus.
Vers une collectivité efficace et responsable
Seule une telle approche permettra aux collectivités territoriales de jouer leur rôle véritable : moteur de développement local, relais de la démocratie et fondement d’un État moderne et équilibré. La refondation des collectivités n’est pas un luxe, c’est une urgence nationale pour Haïti et pour la dignité de nos citoyens.
Port-au-Prince, 22 août 2025
Joseph Georges Duperval
Coordonnateur Général
BATON JENÈS LA