Par Jean Wesley Pierre
Ce lundi 1er septembre 2025 restera comme un nouveau symbole de l’effondrement sécuritaire en Haïti. Dans une vidéo devenue virale, Krisla, chef du gang qui contrôle Ti Bwa, Carrefour et leurs environs, a fait circuler son cortège de plus d’une douzaine de véhicules dans les rues de Port-au-Prince, sans être inquiété.
Plus choquant encore : quelques minutes avant son passage, des véhicules blindés de la police, pourtant postés sur ces mêmes axes routiers, avaient mystérieusement quitté les postes.
Une scène qui interroge
Pour beaucoup, ce spectacle n’est pas un hasard mais la preuve flagrante d’une collusion entre certains secteurs de l’État et les groupes armés. Élie, habitant de Carrefour, ne cache pas son indignation : « Ce n’est pas la première fois que la police et les hauts gradés nous montrent qu’ils sont complices des gangs. »
Marcelline, déplacée de Carrefour-Feuilles, abonde dans le même sens : « Se akoz de yo si jodi a mwen pa lakay mwen, se yo ki bay bandi zòn nan. » Derrière ces témoignages, c’est toute une population meurtrie qui crie sa colère et son sentiment d’abandon.
L’État absent ou complice ?
Laisser un chef de gang défiler en plein jour, au nez et à la barbe des forces de l’ordre, relève soit de l’incompétence, soit d’une complicité active. Dans un contexte où les déplacés internes se comptent par centaines de milliers et où des quartiers entiers vivent sous la loi des caïds, l’État semble avoir abdiqué son rôle régalien.
Pire encore, de nombreux citoyens perçoivent la police comme un acteur participant à la mise en scène de cette violence, que ce soit par sa passivité, ses connivences ou ses propres exactions.
Une population prise en étau
Le peuple haïtien vit désormais entre trois feux : la barbarie des gangs, la brutalité des forces de l’ordre et le cynisme de dirigeants qui instrumentalisent la terreur.
Les habitants fuient leurs maisons, trouvent refuge dans des camps insalubres, et subissent en plus les raquettes et abus des brigades censées les protéger. Comment parler encore de « lutte contre l’insécurité » quand les blindés disparaissent opportunément avant l’arrivée d’un cortège criminel ?
Le prix du silence
L’indifférence ou la complicité des autorités ne sont pas seulement une faillite morale, elles représentent aussi une stratégie politique. Le chaos sécuritaire profite à ceux qui veulent un peuple affaibli, soumis et incapable de réclamer ses droits.
Tant que la peur régnera dans les quartiers, tant que les déplacés seront entassés dans des conditions indignes, la population aura d’autres priorités que de demander des comptes sur la corruption, la misère ou la gestion du pays.
Une urgence nationale
Haïti ne pourra se relever tant que la gangstérisation du système restera une réalité tolérée, voire organisée. Les images de Krisla paradant librement de Fontamara à Canaan sont bien plus qu’une humiliation : elles incarnent le pacte tacite entre dirigeants et criminels, où le peuple n’est qu’un dommage collatéral.
Tant que cette complicité ne sera pas rompue, parler de « sécurité » ne sera qu’un leurre de plus dans un pays pris en otage.


