En Haïti, la méfiance envers les institutions publiques n’a cessé de croître, au point où une simple question peut provoquer un large débat national : « Pour qui travaille la DCPJ ? Pour le parquet, le Directeur général de la PNH, son compte personnel ou pour le Blanc ? » Une interrogation percutante qui remet en question le rôle, l’indépendance et l’orientation réelle de la Direction Centrale de la Police Judiciaire.
Officiellement, la DCPJ est chargée de lutter contre la criminalité organisée, le trafic de drogue, le blanchiment d’argent, la corruption et toute infraction mettant en péril la sécurité publique. Elle agit sous la tutelle du Directeur Général de la Police Nationale d’Haïti, en collaboration avec le parquet. Mais entre la mission prévue dans les textes et la réalité perçue sur le terrain, le fossé semble parfois profond.
Des dossiers sensibles traités avec une célérité sélective, des enquêtes suspendues sans justification claire, ou encore des arrestations jugées politiquement orientées ont amené bon nombre d’observateurs à se demander si la DCPJ ne serait pas instrumentalisée. Est-elle réellement au service de la justice, ou bien répond-elle à des ordres dictés par des intérêts supérieurs, voire personnels ?
Le cas de l’ancien sénateur Nenel Cassy illustre à merveille ces inquiétudes. Un avis de recherche a été émis contre lui par la DCPJ, sans qu’aucun mandat préalable n’ait été délivré par une autorité judiciaire compétente. Pour se défendre et prouver sa bonne foi, M. Cassy s’est volontairement présenté devant le parquet de Port-au-Prince, qui a décidé, selon ses avocats, Me Fanfan Guérilus, de classer le dossier sans suite, faute de charges.
Dans une interview accordée à Radio Télé Métropole, à l’époque de cette présentation, le Commissaire du Gouvernement, Me Frantz Monclair, a déclaré que la procédure n’était pas conforme à la loi, rappelant qu’un avis de recherche doit être émis uniquement à la suite d’un mandat régulier. Dans le cas de Nenel Cassy, aucune décision de justice ne justifiait une telle action.
Coup de théâtre, la même DCPJ a procédé à l’arrestation de l’ex sénateur, samedi, au Restaurant La Réserve. Lors de sa présentation sur les réseaux sociaux, il est accusé « de complot contre la sûreté intérieure de l’Etat; Financement d’organisations criminelles; Complicité d’assassinat et Association de malfaiteurs ». Ce qui sous-entend que la DCPJ avait continué son investigation en dépit de la décision du commissaire du gouvernement Montclair.
Cette incohérence met en lumière une dérive potentielle : l’utilisation d’une instance policière pour intimider ou discréditer certaines figures politiques, pour régler des affaires personnelles en dehors du cadre légal. Certains y voient la main du directeur général, Rameau Normil
derrière cette démarche policière. Quelles sont ses motivations réelles ?
Or, ce même parquet est souvent perçu comme inféodé au pouvoir politique du moment. D’autres pointent du doigt le Directeur Général de la PNH, qui pourrait orienter les actions de la DCPJ selon des considérations internes, voire stratégiques, particulièrement dans des périodes de tension politique.
À cela s’ajoute une inquiétude plus grave : celle d’une utilisation à des fins personnelles. Des rumeurs persistantes évoquent des cas de corruption interne, de protection accordée à certains individus puissants, ou d’enquêtes sabotées pour des motifs obscurs. Dans ce climat, la confiance du public s’érode.
Enfin, la question du rôle des partenaires internationaux — souvent désignés par l’expression familière « le Blanc » — n’est pas à négliger. Il est de notoriété publique que la DCPJ entretient des liens étroits avec des agences étrangères. Si cette coopération est essentielle dans la lutte contre le crime transnational, elle alimente également la perception que certaines opérations sont dictées depuis l’extérieur, au détriment des priorités nationales ou de la souveraineté judiciaire haïtienne.
Dans ce contexte trouble, il devient urgent de clarifier le cadre d’action de la DCPJ, de renforcer les mécanismes de reddition de comptes, et de garantir une réelle indépendance. Car une chose est certaine : une institution aussi stratégique doit œuvrer pour la justice et la nation, non pour des agendas politiques, personnels ou étrangers.
La Rédaction


