Alors que la population haïtienne endure l’une des crises les plus violentes de son histoire récente — marquée par l’insécurité galopante, l’effondrement des institutions publiques, la paralysie économique et un exode sans précédent — ses dirigeants, eux, semblent davantage préoccupés par leurs querelles personnelles que par la survie collective de la nation.
Depuis plusieurs mois, les alliances politiques se font et se défont dans les cercles du pouvoir, non pas autour d’un projet national ou d’une stratégie de sortie de crise, mais au gré des ambitions individuelles et des luttes d’influence. Chaque bloc politique semble plus soucieux de consolider sa position que d’assumer ses responsabilités envers un peuple abandonné.
Les réunions officielles sont souvent le théâtre de rivalités stériles, où la priorité n’est ni la sécurité, ni la relance des services de base, encore moins l’organisation d’élections crédibles. On y voit plutôt des responsables s’accuser mutuellement d’illégitimité ou de trahison, alors que les hôpitaux manquent de tout, et que les rues sont livrées aux gangs armés.
Cette dérive est d’autant plus choquante que le peuple haïtien paie chaque jour le prix de cette déconnexion. Dans les quartiers populaires, les familles vivent dans la peur constante, sans accès à l’eau potable, à l’électricité ou aux soins médicaux. Les enfants ne vont plus à l’école. Les rares entreprises encore debout fuient un climat d’insécurité devenu invivable. Et pendant ce temps, les dirigeants politiques s’enlisent dans un jeu de pouvoir qui ignore cyniquement l’urgence humanitaire et institutionnelle.
Le contraste est saisissant : d’un côté, un peuple meurtri, appauvri et désabusé ; de l’autre, des élites enfermées dans leurs calculs, refusant toute autocritique, incapables de fédérer une vision commune. Le vide du leadership national ne se mesure pas seulement en actes manqués, mais aussi en silence face à la douleur des citoyens. C’est un échec politique et moral retentissant.
Haïti n’a pas besoin d’un énième compromis de façade entre clans rivaux. Elle a besoin d’un sursaut de responsabilité, d’un leadership courageux, et d’un engagement réel à servir l’intérêt général. Tant que les dirigeants haïtiens mettront leur ego au-dessus de la nation, le pays continuera de s’enfoncer. Et l’Histoire se souviendra que pendant que le peuple criait famine et réclamait justice, ses représentants jouaient à se disputer les ruines du pouvoir.
Par Gesly Sinvilier