PORT-AU-PRINCE.— Sous le mandat de Rameau Normil à la tête de la Police nationale d’Haïti, les enquêtes judiciaires ont souvent été accompagnées d’une forte médiatisation. Arrestations spectaculaires, conférences de presse détaillant les accusations, diffusion d’images ou de vidéos d’interpellations, par le service de presse et de relations publiques, sur les réseaux officiels de l’institution.
Cette stratégie, présentée comme un outil de transparence et de dissuasion, soulève aujourd’hui des questions de fond sur le respect du principe de la présomption d’innocence et les droits des personnes mises en cause.
Une stratégie assumée de visibilité
Dès ses premiers mois à la direction générale, Normil a misé sur la communication comme point d’appui de l’action policière. Les opérations majeures étaient systématiquement diffusées ou commentées dans les médias, parfois avant même que les procédures judiciaires ne soient bouclées.
La PNH sous l’égide de Normil prétendait rassurer la population, montrer l’efficacité des agents et envoyer un message de fermeté face au crime organisé. Mais selon plusieurs juristes, cette méthode brouille la frontière entre information légitime et condamnation anticipée. «La police n’est pas une juridiction de jugement et la presse telle qu’elle soit ne doit servir de tribunal», a déclaré Kendersley Jean Étudiant mémorant à la faculté de droit de l’UEH.
Le principe de la présomption d’innocence
La Constitution haïtienne et les instruments internationaux ratifiés par Haïti, notamment l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, consacrent la présomption d’innocence: toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement établie. En droit, cela signifie que ni les autorités publiques ni les médias ne doivent présenter un suspect comme coupable avant un jugement définitif.
«La médiatisation excessive, surtout lorsqu’elle dévoile des éléments d’enquête non encore vérifiés, peut donc constituer une violation de ce principe», a poursuivi Maître Jean, soulignant que cette communication à outrance avait plus tendance à faire la promotion politique du directeur général.
Et après? Le droit au recours des victimes de diffamation policière
Environ un mois après sa libération, l’ancien député Alfredo Antoine, qui se victime d’abus pour avoir été accusé puis arrêté illégalement, annonce le dépôt de plainte contre l’ancien DG de la PNH et de la DCPJ.
Pour l’ex parlementaire Rameau Normil avait une chasse à l’encontre sa personne en raison de ses relations personnelles et professionnelles avec le premier ministre, un ami de longue date date. « L’avis de recherche et ses chefs d’accusation contre moi sont absolument faux et infondés. Il s’agissait des persécutions politiques », s’est plaint Alfredo Antoine, en conférence de presse cette semaine.
Dans ce précis et d’autres similaires qui pensent avoir été publiquement mises en cause, la loi haïtienne prévoit théoriquement des voies de recours. Elles peuvent engager des actions en diffamation ou en réparation pour préjudice moral.
Toutefois, dans la pratique, ces procédures sont rares et complexes, notamment face à l’État ou à une institution policière. Les conséquences sociales d’une accusation médiatisée, stigmatisation, perte d’emploi, atteinte à la réputation, sont souvent irréversibles, même après un acquittement.
Une source proche de l’ex-commandant en chef a confié qu’un policier de l’UDMO avait été victime de cette machine de communication excessive. Jean Junior Cadet avait été présenté par erreur dans la rubrique Alo Lapolis comme étant proche du groupe armé Viv Ansanm. Et après avoir clarifié la situation la DCPJ qu’elle s’était trompée de visage pour le même nom. Mais le policier reste quand même sali en dépit de la rectification du tir.
La position des organisations de droits humains
Plusieurs dirigeants d’organisations de défense des droits humains se sont montrés préoccupés par cette question. Pout eux «informer la population est nécessaire, mais cela ne doit jamais se faire au détriment des garanties fondamentales. La présomption d’innocence est un pilier de l’État de droit».
De son côté, Dabensky Gilbert de l’ORDEDH estime que «la PNH doit revoir ses protocoles de communication et former ses porte-paroles sur les limites légales de la diffusion d’informations judiciaires».
Un équilibre fragile, un débat à rouvrir
À l’heure où les réseaux sociaux amplifient instantanément chaque image ou déclaration, la médiatisation des enquêtes exige un encadrement plus strict. Entre nécessité d’informer et protection des droits, l’équilibre reste fragile.
La PNH, le parquet et les médias devront, à l’avenir, repenser leurs pratiques quand il s’agit d’informer. Il faut prioriser la loi dans les narratifs concernant la présentation des personnes ayant des démêlés avec la loi, afin d’éviter que la lutte contre l’insécurité ne se traduise par des atteintes irréparables aux libertés individuelles.
Jean Mapou


