À Fritz Gérald Calixte, MPA, Av. !
Le 9 juillet 2003, l’ambassadeur Brian Dean Curran a craché la vérité au visage de l’élite haïtienne : la crise n’était pas seulement politique, ni seulement économique elle était morale. Dans un pays à genoux, il osa nommer l’innommable : The Most Repugnant Elite. Une élite qui dévore, qui pourrit, qui applaudit dès qu’un étranger la flagelle, comme si la gifle du maître valait bénédiction.
Que fit cette élite ? Elle se redressa dans ses fauteuils dorés, sourit, battit des mains. Le blanc avait parlé. Le sermon était prononcé. Amen. On n’avait rien compris. On n’avait rien appris.
Vingt-deux ans plus tard, le spectacle est encore plus obscène. Deux responsables des grandes banques sanctionnés. Des magnats des médias cités, indexés. Des hommes d’affaires, hier encensés, aujourd’hui confondus avec les mêmes bandits qu’ils ont financés, armés, nourris. Les parrains sont devenus les enfants de leurs propres monstres. Et le pays continue de se vautrer dans ce théâtre macabre où corrupteurs et criminels partagent la même loge VIP.
Disons-le : cette élite n’est pas seulement répugnante, elle est pestilentielle. Elle ne gouverne pas, elle contamine. Elle n’investit pas, elle vampirise. Elle n’élève pas, elle étrangle. Voilà pourquoi nous avons la nausée : pas la nausée passagère d’un lendemain de fête, mais une nausée chronique, nationale, une infection qui perdure depuis ce jour où Curran a mis des mots sur notre putréfaction.
Creuser du fond ? Oui car il n’y a plus de surface. Tout est effondré. Si nous ne descendons pas dans la boue pour retrouver une pierre, une seule, où poser nos pas, nous continuerons à danser dans ce marécage avec des vautours déguisés en capitaines d’industrie.
Il est temps d’arracher le masque des « honorables ». Dire que la banque qui blanchit mérite le même enfer que le gang qui tue. Affirmer que l’homme d’affaires complice mérite la même geôle que le kidnappeur qu’il a financé. L’élite célébrée dans les cocktails n’est que l’autre face de la pègre qui règne dans les rues.
Curran avait raison. Mais son évangile n’a pas trouvé d’apôtres. Aujourd’hui, peut-être, il nous revient d’être les hérétiques qui crient, qui brûlent, qui refusent la complicité. Car à force de nausée, il faudra bien vomir ce monde pourri, ou mourir étouffés par sa puanteur.
J’aime Haïti de toutes mes forces, et je sais ce que je pourrais faire pour mon pays. Enfin !
Le spectacle au pays est d’une tristesse absolue. Arrestations d’hommes d’affaires voleurs, menteurs et souvent ce n’est que parce que « le blanc » a agi. L’éternel est grand : le blanc a parlé, le blanc agit et la justice nationale, comme par habitude, s’éveille tard.
On arrête l’ancien directeur de la TNH pour malversations ; on rappelle sa belle sortie sur une chaîne guyanaise. On a ri, puis on a oublié. Et pourtant il fut renouvelé au détriment des jeunes hommes et des jeunes femmes bien formés de l’administration publique. Il a dirigé la TNH, ma TNH, la Télévision nationale d’Haïti, pendant douze ans. Imaginez un instant ce que cette mandature rose a fait au pays par ses choix !
Au bord du gouffre, il est bon de garder toujours une pierre au fond de la main, assez lourde pour bâtir, assez vive pour briser les chaînes.
Anyway, Demain, qui semblait si proche, est plus loin que je pensais !
« Moun yo kase ponyèt nou, yo pran afè nou, yale ! » Azor!
Yves Lafortune
Fort Lauderdale, le 25 septembre 2025


