Par Jean Mapou
PORT-AU-PRINCE.__ La Semaine sainte a toujours eu une valeur exceptionnelle pour les Haïtiens, notamment pour les chrétiens orthodoxes. D’ailleurs durant tout le Carême, les croyants se sont adonnés à la purification de leur corps pour s’aligner aux principes de la pureté, inspirés dans le sacrifice de Jésus. C’est ainsi que des précautions particulières sont prises dans les aliments à consommer.
Au cours de cette période, allant du dimanche des Rameaux, où commence la Passion de Jésus-Christ, jusqu’à la veillée pascale de la nuit du samedi d’eau bénite, les chrétiens et d’autres croyants orthodoxes gardent à l’esprit certaines anciennes traditions et s’abstiennent de manger de la viande en mémoire du sacrifice de Jésus.
*Du pain, des poissons et des vivres alimentaires, selon la tradition*
Une semaine dite sainte où nombreux Haïtiens acceptent de supprimer littéralement la viande de leur nourriture. Mais le vendredi saint, décrit comme étant le jour de la passion du Christ, quasiment tous, comme dans d’autres pays, s’offrent une cuisine spéciale en vue d’une alimentation saine.
La cuisson du poisson séché ou frais, de la morue avec des vivres alimentaires, pas trop de céréales. En plus, la salade de Kenscoff est comme la cerise sur le gâteau. Composée généralement de laitues, de pommes de terre, de carottes, de betteraves, poivrons rouges et verts, concombres, tomates. Pas de viandes sous aucune forme, car “on ne va pas manger la chair du Christ”. Pas d’alcool ni de plaisir sexuel d’ailleurs.
*Le repas traditionnel de paques dans le contexte actuel, une double pénitence*
La cherté de la vie dans le pays et des coûts exorbitants des poissons, ont forcé la plupart des Haïtiens à renoncer à cette pratique. Les marchés sont surchargés de viande et d’autres produits, souvent, moins chers que ceux couramment utilisés dans les cuisines des fêtes pascales.
A Kenscoff, lieu par excellence de production maraichère, qui, habituellement’, alimente les marchés de pâques, est sous le contrôle des gangs armés depuis environs quatre mois. Chérilien Eliancy, Technicien agricole et coordonnateur adjoint de Solidarité haïtienne pour le Développement Rural de Kenscoff, en exprime sa frustration.
Co-gestionnaire d’une ferme agro-écologique dans la localité Robin, il raconte que les paysans avaient raté la campagne d’hiver à cause d’un manque d’activités pluvieuses en 2024. «Nous n’avions pas pu produire en quantité pour arriver jusqu’à Pâques, mais nous allions essayer de nous rattraper grâce à des techniques agricoles. Cependant en début de l’année des bandits nous ont envahi et fait fuir les planteurs» a déclaré Eliancy.
Le déferlement des vagues de violence armée a de graves conséquences sur la ferme agricole de SOHADERK. Selon Chérilien Eliancy, les paysans ont abandonné les plantations pour éviter de se tuer ou enlever par les bandits qui se cachent dans les champs. «Nos techniciens, nos travailleurs ne viennent plus, par peur de se faire prendre, tout le monde se cache», dit-il, expliquant les raisons pour lesquelles les salades de Kenscoff ne sont plus au rendez-vous pascal, cette année.
Cette situation est pareille dans d’autres endroits. André Richard, paysan cultivateur à Saint-Marc témoigne avoir perdu des denrées pour plus de 50 mille gourdes à cause d’un blocage sur la route de l’Arcahaie. «Les produits sont gâtés en chemin, alors que j’avais déjà payé dans des postes de péage pour mon droit de passage… à chaque point il faut payer. Faute d’argent j’étais obligé de rebrousser le chemin. La récolte gaspillée, mon investissement est perdu», se désole Richard.
*Une situation qui présage une crise alimentaire sur Port-au-Prince en particulier*
Lors de sa participation à l’émission Thermomètre sur radio solidarité, Louisette Vertilus, présidente de la Plateforme des Femmes Organisées pour le Développement de l’Artibonite, a prévu ce qu’elle considère comme un enlèvement de la capitale en matière de biens agricoles.
Le grand nord serait en train de couper le pont avec Port-au-Prince, selon ses explications. «Les associations de toutes natures sont en train d’établir des protocoles pour des échanges commerciaux ou de compétences», a relaté Vertilus, prévenant que si les violences persistent ainsi, la capitale ne sera plus alimentée en produits agricoles.
Les traditions globalement ont tendance à disparaître depuis un certains temps en Haïti, laissant la place aux conformités imposées par les gangs armés. Aucun pays ne parvient à survivre loin de ses coutumes et ses traditions.