Par Jean Wesley Pierre
La publication des rapports de l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) ce vendredi 26 septembre a provoqué une onde de choc, révélant des pratiques de corruption massive impliquant un ministre et des directeurs généraux en fonction.
Ces rapports perçus comme un pas décisif dans la lutte contre l’impunité, suscitent également une méfiance persistante quant à la capacité du système judiciaire à transformer ces révélations en sanctions concrètes.
Selon l’un des rapports, un ministre du gouvernement et deux directeurs généraux sont impliqués dans des scandales de corruption ainsi qu’un ancien directeur général. Ils sont épinglés pour des détournements de fonds, des prêts douteux ou des contrats fictifs.
Des décaissements irréguliers et une chaîne de responsabilités
Selon les enquêteurs de l’ULCC, la ministre Niola Lynn Sarah Devalis Octavius aurait autorisé le décaissement de ces fonds en violation des règles de la comptabilité publique.
Plutôt que d’émettre un chèque directement au bénéficiaire effectif des activités commémoratives, la somme a été libellée au nom du comptable en chef du ministère, Ludner Vogel Desforges.
Cette décision a permis de soustraire l’opération au contrôle normal de la trésorerie de l’État.
Plus grave encore, un compte bancaire privé aurait été ouvert à la Banque Nationale de Crédit (BNC) pour y déposer l’argent public. En contournant les circuits institutionnels, les fonds ont échappé aux mécanismes de supervision prévus par la loi sur la gestion des finances publiques.
Des flux d’espèces troublants
L’ULCC relève que 7,66 millions de gourdes ont été retirés en liquide sur ce compte, puis remis en main propre au chef de sécurité de la ministre, Jean Vilaire Maître, sans justificatifs probants.
Les enquêteurs évoquent également des transferts croisés suspects : par exemple, le retrait de 2 millions de gourdes le 26 novembre 2024, suivi le même jour d’un dépôt d’un montant identique sur le compte personnel de la ministre.
Carburant public, génératrices privées
À l’heure où les ordures s’accumulent dans les rues de la capitale, l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) dévoile un rapport accablant sur la gestion du Service National de Gestion des Résidus Solides (SNGRS).
Entre décembre 2021 et avril 2024, l’institution chargée de maintenir la salubrité publique aurait été le théâtre d’un détournement massif de carburant, pour un montant estimé à 227,48 millions de gourdes.
Selon les enquêteurs, le Directeur général Germain Paulémon et son adjoint Max Alex Joseph ont reconnu avoir utilisé, à des fins personnelles, une partie du diesel acheté par l’institution.
Ce carburant, financé par les fonds de l’État, aurait servi à alimenter leurs génératrices privées, alors même qu’il était destiné aux opérations de collecte et de traitement des déchets.
Ce aveu, rare dans les affaires de corruption, confirme que les dirigeants du SNGRS se sont approprié des ressources vitales, au détriment du fonctionnement normal d’un service public déjà critiqué pour son inefficacité.
Des studios publics au service de médias privés
Ce qui devait être la vitrine audiovisuelle de l’État haïtien se retrouve aujourd’hui au cœur d’un scandale retentissant. Un autre rapport de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) concerne la Télévision Nationale d’Haïti (TNH).
En effet, l’ex-directeur général Gamall Jules Augustin, est accusé de détournement de biens publics, abus de fonction prise illégale d’intérêt pour « avoir transformé l’institution publique en véritable fief personnel ».
L’enquête de l’ULCC détaille un hébergement illégal de médias privés sur le site de la TNH à Boutilliers, au mépris de toute procédure officielle.
Parmi les bénéficiaires figurent Kingdom FM, Vlaw FM, Zoom FM et Banchh TV. Ces entités auraient profité des installations et des ressources de l’État sans autorisation, ni contrepartie légale.
Subventions fantômes et carburant surévalué
Plus troublant encore, l’ULCC documente le détournement de subventions publiques et une surfacturation massive du carburant.
Un exemple emblématique : une facture de 6,8 millions de gourdes pour l’approvisionnement en carburant d’un site… qui était pourtant fermé. Cette pratique, si elle était confirmée, constituerait une ponction directe dans les caisses de l’État.
Et maintenant ?
L’ULCC a recommandé des poursuites judiciaires et des mesures administratives immédiates dans toutes les affaires documentées: le MJSAC, le SNGRS et l’ex directeur général de la TNH, Gamall Jules Augustin. Ce dernier est déjà en garde vue au Parquet de Port-au-Prince tandis que son administrateur Halem Michel, considéré comme complice dans plusieurs opérations, est aussi poursuivi par l’ULCC.
Alors que le pays traverse une crise sans précédent, le détournement présumé de fonds destinés à la mémoire historique de Vertières apparaît comme une trahison symbolique. Sans respect pour nos ancêtres.
Tant que les mécanismes de contrôle resteront faibles et que les sanctions resteront théoriques, les millions détournés continueront de creuser le fossé entre l’État et la population, laissant derrière eux des rues encombrées, des quartiers insalubres et une société exaspérée par l’injustice.
Ces affaires, loin d’être de scandales isolés, soulèvent une question fondamentale sur la responsabilité des dirigeants publics en Haïti : comment reconstruire la confiance des citoyens envers des institutions censées servir l’intérêt général.
Ces dossiers devront être des symboles de rupture avec l’impunité, pour éviter de tomber dans la longue liste des classés sans suite et attendre, tout doucement, la prescription.


