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Le prix Nobel d’économie 2025 récompense les travaux fondateurs sur le rôle du progrès technologique dans le développement économique

Par Thomas Lalime
Le Nouvelliste Haiti, 20 oct. 2025

Le prix Nobel d’économie 2025, officiellement appelé Prix de la Banque de Suède en sciences économiques, a été attribué le lundi 13 octobre 2025 à Joel Mokyr, Philippe Aghion et Peter Howitt pour leurs travaux sur la croissance économique fondée sur l’innovation technologique.

La moitié du prix revient à Joel Mokyr, économiste américano-israélien né aux Pays-Bas (79 ans), professeur à l’université Northwestern aux États-Unis. Il est récompensé pour avoir mis en lumière les conditions historiques et institutionnelles favorisant une croissance durable grâce au progrès technologique. Ses recherches, à la croisée de l’histoire économique et de la théorie de la croissance, ont montré comment des facteurs culturels, scientifiques et institutionnels tels que la valorisation du savoir, la diffusion des idées et la liberté d’expérimenter ont préparé le terrain aux grandes révolutions industrielles. En retraçant le rôle des institutions dans la formation d’un climat propice à l’innovation, Mokyr a contribué à expliquer pourquoi certaines sociétés ont connu un développement économique soutenu alors que d’autres sont restées à la traîne.

L’autre moitié du prix est partagée entre Philippe Aghion, économiste français (69 ans), et Peter Howitt, économiste canadien (79 ans), pour leur théorie de la croissance par la destruction créatrice : un processus où les innovations remplacent les anciennes technologies, stimulant ainsi le progrès économique tout en rendant obsolètes les produits précédents. Leur modèle, aujourd’hui au cœur de la théorie dite de la croissance endogène, met en évidence le rôle central de la recherche, de la concurrence et de l’esprit d’entreprise dans le développement économique. Aghion et Howitt montrent que la prospérité d’une nation dépend de sa capacité à encourager l’expérimentation et à s’adapter au changement. Leur approche éclaire aussi les politiques publiques nécessaires pour soutenir l’innovation, notamment l’investissement dans l’éducation, la protection des droits de propriété intellectuelle et la mise en place d’institutions capables de favoriser une concurrence dynamique sans freiner la créativité.

Le comité Nobel a souligné que ces travaux rappellent l’importance de ne pas considérer le progrès technologique comme acquis, mais de préserver les conditions propices à l’innovation, comme une société ouverte au changement. Il a insisté sur le fait que la croissance économique repose sur un équilibre fragile entre créativité, éducation et institutions solides. Une société qui néglige ces fondements risque de voir s’essouffler sa dynamique d’innovation et de perdre en compétitivité. Selon les membres du Comité, les recherches des lauréats constituent un appel à la vigilance et à l’action. Puisque, dans un monde en mutation rapide, seule une économie capable d’encourager la recherche, la prise de risque et la diffusion du savoir pourra maintenir une croissance durable et inclusive.

Une invitation à investir dans une éducation de qualité

Dans sa réaction, Philippe Aghion a appelé les pays européens à renforcer leur capacité d’innovation afin de ne pas laisser les États-Unis et la Chine dominer les technologies de pointe. Selon lui, l’Europe souffre d’un retard technologique dû à l’absence de politiques et d’institutions adaptées pour soutenir les innovations de rupture. Il a souligné la nécessité pour les États européens de miser davantage sur la recherche fondamentale, de stimuler l’investissement privé dans les secteurs innovants et de favoriser une culture de la prise de risque. Aghion a également plaidé pour une meilleure coordination des politiques industrielles à l’échelle du continent, afin de créer un environnement propice à l’émergence de champions technologiques capables de rivaliser avec les géants américains et asiatiques. Pour lui, seule une Europe qui investit dans la connaissance et la créativité pourra retrouver une trajectoire de croissance soutenue et inclusive.

C’est le deuxième Prix Nobel d’économie qui récompense les travaux sur l’importance du progrès technologique sur la croissance et le développement économiques. Robert Solow, Prix Nobel d’économie en 1987, avait été le premier à montrer que le véritable moteur de la croissance économique réside dans le progrès technologique, au-delà de l’accumulation de capital ou de travail. Philippe Aghion intégrait le MIT comme professeur assistant en 1987 quand Robert Solow, qui enseignait au MIT durant 50 ans, gagnait le Prix Nobel d’économie. Il avoue avoir bénéficié du soutien de Robert Solow dans le développement de son modèle.

Les recherches de Mokyr, Aghion et Howitt vont plus loin que celles de Solow en expliquant comment l’innovation se diffuse, comment elle transforme les structures économiques et comment les institutions et politiques publiques peuvent encourager ou freiner ce processus. Leur travail met en lumière le rôle de la destruction créatrice, de l’éducation et de la concurrence dans le maintien d’une croissance soutenue, offrant ainsi un cadre moderne pour comprendre les écarts de développement entre les pays.

Aghion et Howitt : l’innovation, clé du développement économique

Dans leur ouvrage académique de référence intitulé L’Économie de la croissance (traduit de l’anglais par Wilfrid Koch, professeur de sciences économique à l’Université du Québec à Montréal) et dans leurs différentes publications scientifiques, Philippe Aghion et Peter Howitt renversent la vision traditionnelle de la prospérité. Leur message résonne particulièrement dans les économies en quête de transformation. Pendant des décennies, la croissance économique a été essentiellement expliquée par l’accumulation de capital, de travail et de ressources naturelles. Une approche mécanique, souvent déconnectée des réalités contemporaines.

Philippe Aghion et Peter Howitt proposent une lecture beaucoup plus approfondie qui stipule que la vraie richesse d’un pays se construit à travers l’innovation, la connaissance et la capacité d’adaptation. Ils défendent la théorie de la croissance endogène, selon laquelle le développement ne dépend pas seulement de facteur exogène, mais surtout des choix faits à l’intérieur même d’une société : éducation, recherche, institutions, entrepreneuriat. L’innovation devient le moteur central du progrès économique, un processus qui alimente la productivité, crée des emplois et transforme les structures économiques.

Philippe Aghion et Peter Howitt reprennent le concept de destruction créatrice cher à Joseph Schumpeter. Celui-ci est un économiste et professeur en science politique autrichien, naturalisé américain, connu pour ses théories sur les fluctuations économiques, la destruction créatrice et l’innovation. Aghion et Howitt se basent sur la théorie schumpetérienne pour expliquer que chaque innovation, en apportant du neuf, remplace ce qui est dépassé. Ce cycle de création et de disparition, parfois douloureux, est pourtant essentiel à la vitalité d’une économie. Là où certains voient la fin d’industries anciennes, Aghion et Howitt voient le début d’une ère nouvelle, celle de la modernisation et de l’opportunité.

Mais l’innovation technologique ne tombe pas du ciel. Elle exige des institutions solides, un système éducatif performant et des politiques publiques cohérentes. Sans cadre propice, la créativité reste étouffée. Pour Aghion et Howitt, un pays doit garantir la sécurité juridique, encourager la concurrence, protéger la propriété intellectuelle et financer la recherche. Ce sont ces leviers qui transforment l’énergie créative en croissance réelle. Sur ce point, ils complètent les travaux de Robert Solow qui considérait le progrès technologique comme un facteur exogène, comme tombé du ciel. En identifiant les principaux facteurs qui déterminent le progrès technologique, Mokyr, Aghion et Howitt ont conçu de vrais modèles de développement endogène.

Quelles leçons pour Haïti ?

La réflexion des lauréats du Prix Nobel d’économie 2025 dépasse les frontières des pays industrialisés. Pour des pays en développement comme Haïti, confrontées à la stagnation économique et à la fuite des talents, leurs travaux offrent des pistes concrètes : investir dans le savoir, encourager les entrepreneurs, valoriser la recherche locale et moderniser les institutions. L’innovation, rappellent Aghion et Howitt, n’est pas un luxe réservé aux puissances technologiques, mais une nécessité pour bâtir une économie résiliente et inclusive.

Évidemment, on ne s’attend pas nécessairement à ce qu’Haïti devienne immédiatement un centre d’innovation technologique ou qu’elle attire les toutes dernières avancées en intelligence artificielle, biotechnologie ou énergie renouvelable. Le véritable enjeu pour le pays n’est pas de copier les leaders mondiaux, mais de renforcer sa capacité d’adaptation face aux changements rapides de l’économie mondiale. Cela signifie développer les compétences locales, investir dans l’éducation, former une main-d’œuvre capable d’assimiler et d’appliquer de nouvelles méthodes, et construire des institutions suffisamment flexibles pour soutenir les initiatives économiques émergentes.

En d’autres termes, Haïti doit être capable de tirer parti des technologies disponibles, même modestes, et de les intégrer efficacement dans ses secteurs clés : agriculture, services, santé ou infrastructures. Une telle approche permettrait au pays de réagir plus rapidement aux innovations importées, de stimuler la productivité et de réduire sa dépendance technologique. Construire cette capacité d’adaptation, c’est préparer le terrain pour que l’innovation, même indirecte, devienne un moteur réel de croissance durable et de résilience économique.

En plaçant la science, la créativité et la formation au cœur du développement, Philippe Aghion et Peter Howitt signent un plaidoyer pour une croissance plus humaine, plus ouverte et plus durable. Même si souvent le progrès technologique profite davantage aux plus capables. Leur message sonne comme un appel à l’action: « Le progrès n’est jamais acquis. Il se cultive, s’encourage et se protège.» Dans un monde où les inégalités se creusent et où les défis économiques se multiplient, les lauréats du Prix Nobel d’économie 2025 rappellent que la véritable richesse d’une nation ne réside pas seulement dans ce qu’elle possède, mais dans ce qu’elle est capable d’inventer.

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