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Le Conseil Présidentiel de Transition doit-il partir ?

Entre illusions perdues et échecs répétés, Haïti continue à payer le prix des transitions sans lendemain.

Par Pierre Josué Agénor Cadet

Depuis plus de trente ans, le mot transition est devenu en Haïti le symbole d’une promesse non tenue. À chaque crise politique, il revient, porteur d’espoirs vite brisés. Les transitions successives, censées rétablir l’ordre et préparer le renouveau démocratique, se sont trop souvent transformées en occasions d’enrichissement personnel et en stratégies de repositionnement politique.

Des élites économiques, des acteurs politiques et même certains représentants diplomatiques se servent de ces périodes pour consolider leurs intérêts, tandis que le peuple haïtien, lui, s’enfonce dans la misère, l’insécurité et la désillusion.

2021 : l’assassinat d’un président et la promesse d’un redressement

Le 7 juillet 2021, Haïti s’est réveillée dans la stupeur : le président Jovenel Moïse venait d’être scrupuleusement assassiné dans sa résidence privée. Ce crime abominable, qui a choqué la nation entière, devait ouvrir une période de transition chargée de deux missions essentielles :

  1. Rétablir la stabilité politique et la sécurité nationale
  2. Organiser des élections générales libres ,honnêtes et crédibles.

Quatre ans plus tard, le constat est amer : ni Ariel Henry ni le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) n’ont su répondre à ces exigences fondamentales. Le pays est plus fragmenté que jamais. Les gangs armés contrôlent des zones entières dans les Départements de l’ouest, de l’Artibonite et du centre qui representent à eux seuls plus de 60% de l’électorat. La Police nationale peine à remplir ses fonctions, et la justice reste paralysée.

Un Conseil sans cap ni autorité

Né dans la confusion et les marchandages, le CPT était présenté comme une alternative consensuelle à l’échec du gouvernement d’Ariel Henry. Or, il s’est rapidement enfoncé dans la même logique d’improvisation, de clientélisme et de luttes internes.

Le 9 octobre 2025 dernier, le Conseil a échoué dans sa première tentative d’organiser un Conseil des ministres au Palais national, symbole de l’impuissance d’un pouvoir sans légitimité populaire ni autorité institutionnelle. La commémoration paisible des 6 et 7 juillet 2025 avait donné l’illusion d’un retour au calme. Mais depuis, les divisions internes, les querelles d’ego et la peur constante des gangs armés paralysent largement l’action gouvernementale.

La faillite de l’État et l’abandon du peuple

Sur le terrain, le constat est accablant :

Les services publics sont en déplacement et en ruine ;

Les hôpitaux manquent de tout , les écoles ferment leurs portes dans plusieurs endroits dans au moins trois départements et les routes nationales sont devenues des couloirs de terreur. Pendant ce temps, les prix grimpent, la faim s’installe et les territoires perdus augmentent, notamment dans l’Artibonite ces derniers jours. La population, abandonnée à elle-même, ne croit plus ni en l’État ni en ses représentants. Le pouvoir du CPT s’exerce dans l’ombre, sous la tutelle des chancelleries étrangères et de quelques groupes d’affairistes, au mépris de la souveraineté nationale.

Des leçons d’histoire toujours ignorées

Haïti a déjà connu treize transitions après la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986. Presque toutes ont échoué pour une raison simple : aucune n’a été préparée par et pour le peuple. Elles ont toutes été imposées de l’extérieur ou confisquées par des élites locales qui n’ont jamais fait de la nation leur priorité.

Le risque est aujourd’hui identique . Si le départ du CPT n’est pas soigneusement planifié, il ne fera qu’ouvrir un nouveau vide politique. Et l’histoire haïtienne nous enseigne que les vides de pouvoir se remplissent toujours de violence, de chaos, de scandale de corruption et de domination étrangère.

Oui, le CPT doit partir… mais pas dans le vide

La colère populaire est légitime. Le CPT a démontré son incompétence, son absence de vision et son éloignement du peuple.
Mais avant de précipiter sa chute, il faut répondre à quelques questions fondamentales :

Qui prendra la relève ?

Sur quelle base constitutionnelle ou plus ou moins proche de la « constitution officieusement et pratiquement en veilleuse?

Avec quelle feuille de route nationale pour défendre les intérêts matérielset spirituels de la Nation?

Et surtout, selon quelle logique : celle du peuple haïtien ou celle de la communauté internationale ?
Un départ précipité, sans projet clair, serait une nouvelle fuite en avant. Il faut cette fois-ci préparer une transition réfléchie, inclusive, fondée sur le dialogue national et la souveraineté politique.

Rompre avec la transition permanente

Le véritable problème d’Haïti n’est pas seulement le CPT, mais la transition comme mode de gouvernement permanent.
Depuis trop longtemps, la transition est devenue un système en soi , un espace d’opportunisme où quelques-uns s’enrichissent malhonnêtement pendant que la majorité s’appauvrit.

Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut repenser la gouvernance autour de trois piliers essentiels :

  1. La justice sociale, qui redonne confiance au peuple
  2. La transparence, qui restaure la crédibilité de l’État
  3. La participation citoyenne, qui empêche les confiscations politiques. pour un nouveau départ haïtien

Oui, le CPT a échoué. Oui, il doit partir. Mais son départ ne doit pas reproduire le chaos d’hier. Haïti mérite mieux qu’une succession de gouvernements provisoires. Elle mérite un État fort et progressiste digne et souverain, capable de garantir la sécurité, de rendre la justice et d’offrir à chaque citoyen une raison d’espérer.

Tant que la transition restera une échelle vers l’enrichissement et la puissance personnelle, et non un chemin vers le redressement collectif, le pays restera prisonnier de son passé. Il est temps de rompre avec la logique du provisoire pour (re)bâtir durablement la République.

Pierre Josué Agénor Cadet

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