Par Pierre Josué Agénor CADET
Il est des hommes dont la destinée semble écrite dans le tumulte. Jovenel Moïse fut de ceux-là. Combattu dès l’annonce de sa candidature, rejeté par les laideurs d’une politique sans grandeur, il passa deux longues années à convaincre un peuple lassé d’espérances déçues. Ses détracteurs, armés de préjugés et d’intérêts obscurs, s’acharnaient à le salir, à le réduire au silence avant même qu’il ne parle. Et pourtant, malgré la tempête, il accéda démocratiquement à la présidence, croyant encore qu’il était possible de servir Haïti autrement.
À peine investi, il fut happé par les crises : sociales, politiques, économiques, institutionnelles. Tout semblait conspirer contre lui. Les questions d’intérêts, de classe et d’origine dominaient les débats plus que les idées ou le projet collectif. La tension montait chaque fois qu’il prenait une décision qui dérangeait l’ordre établi, chaque fois qu’il tendait la main aux déshérités. Car en Haïti, toucher aux privilèges revient souvent à signer son propre arrêt de mort.
Et la mort brutale par un crapuleux assassinat , en effet, l’attendait.
Dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, un commando de vingt-huit hommes, composé de vingt-six mercenaires colombiens et de deux Américains d’origine haïtienne, pénétra dans sa résidence privée pour exécuter un crime abominable, planifié avec une froideur méticuleuse. Le président Moïse tomba sous les balles après avoir été symboliquement assassiné depuis longtemps dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans les salons où l’on trafique la politique comme on trafique la conscience.
Quelques 48 heures avant sa fin tragique, il avait signé un arrêté accordant pleine et entière décharge aux anciens premiers ministres ayant servi la République entre 1991 et 2017. Ce geste d’équité et de respect institutionnel fut peut-être son dernier acte de réconciliation nationale. Mais dans un pays où la vertu dérange plus que la corruption, cet acte devint pour certains la preuve d’un affront. Son assassinat survint quelques mois après le coup d’État avorté de Petit-Bois et deux semaines à peine après sa visite en Turquie. Hasard du calendrier ou implacable mécanique du destin ?
Jovenel Moïse n’était pas un saint. Aucun homme de pouvoir ne l’est. Il portait ses failles comme tout être humain, mais aussi une foi inébranlable dans la possibilité d’un autre Haïti. Ce qui le distinguait, c’était cette obstination à vouloir bousculer un système figé depuis 1806, cet acharnement à vouloir redonner une voix aux paysans, une dignité aux oubliés, une espérance à ceux qu’on n’écoute jamais.
Mais son nationalisme dérangeait. Son indépendance effrayait. Ses idées de réforme économique, de souveraineté énergétique, de modernisation de l’État, de référendum constitutionnel, heurtaient des intérêts puissants tant nationaux qu’ étrangers. Et tandis qu’il tentait de desserrer les chaînes d’un système de presse aspirante (peze souse ), il fut encerclé, isolé, puis trahi.
Ses adversaires d’hier sont aujourd’hui les héritiers d’un pays en cendres. Les mêmes qui l’ont calomnié reconnaissent désormais, parfois du bout des lèvres, qu’il avait raison sur l’essentiel. Haïti récolte aujourd’hui les fruits amers de son élimination : l’instabilité généralisée,la spirale des gangs, le chaos, le désespoir. Ceux qui ont applaudi sa chute pleurent maintenant le vide qu’il a laissé.
Jovenel Moïse a été livré à ses centempteurs par les siens. Ceux qui devaient assurer sa protection se sont tus ou détournés. Il a payé le prix du courage, celui de la parole libre, celui du refus de se soumettre aux puissances de l’ombre. Il a voulu affronter les mafias de la drogue, les réseaux de corruption, les trafiquants d’influence, les oligarques corrompus, les parasites d’un État affaibli. Il en est abattu lâchement et sauvagement.
Mais les idées ne meurent pas avec les hommes. L’histoire, patiente et implacable, finit toujours par rendre justice. Elle retiendra que Jovenel Moïse, malgré ses erreurs, fut un président incompris et trahi, animé d’un amour sincère pour le pays de Jean-Jacques Dessalines. Un homme presque seul contre tous, qui croyait encore à la possibilité du progrès, à la dignité du travail, à la souveraineté du peuple haïtien.
Et tandis que la première République noire du nouveau monde erre aujourd’hui dans le brouillard, sa voix résonne encore, comme un reproche et une promesse :
» Haïti mérite mieux que la peur. Haïti mérite de vivre ».
Pierre Josué Agénor Cadet


