Par Jean Wesley Pierre
Port-au-Prince, 8 septembre 2025 — Alors que la violence des gangs plonge toujours plus Haïti dans le chaos, un projet de résolution déposé par les États-Unis et le Panama au Conseil de sécurité de l’ONU vise à transformer la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMAS), dirigée par le Kenya, en une force beaucoup plus robuste.
L’enjeu est de taille : mettre sur pied une « force de répression des gangs » de 5 500 militaires appuyée par un bureau logistique de l’ONU. Mais son adoption n’est pas acquise, car tout dépendra du jeu diplomatique entre Washington, ses alliés, et les membres permanents du Conseil de la Sécurité, notamment la Chine et la Russie, souvent critiques des interventions occidentales.
Une nouvelle mission plus musclée pour Haïti
La mission actuellement en place, la MMAS, peine à remplir son mandat. Sur les 2 500 hommes prévus, moins de 1 000 sont effectivement déployés, la plupart kenyans. Résultat : les gangs ont continué leur expansion, contrôlant aujourd’hui près de 90 % de Port-au-Prince et s’imposant dans des régions entières du Plateau central et de l’Artibonite.
Conscients de cet échec, les États-Unis et le Panama proposent une nouvelle force internationale, plus nombreuse et mieux équipée, qui aurait un mandat clair pour :
1- neutraliser et désarmer les gangs à travers des opérations ciblées ;
2- sécuriser les infrastructures stratégiques (aéroport, ports, hôpitaux, écoles) ;
3- appuyer la Police nationale d’Haïti (PNH), fragilisée par le manque de moyens et par une série de changements à sa direction ;
4- lutter contre le trafic d’armes qui alimente directement les gangs.
Le financement serait hybride : contributions volontaires des États membres pour la force, et budget régulier de l’ONU pour le bureau d’appui.
Comment les États-Unis comptent convaincre le Conseil de sécurité?
À New York, l’administration américaine veut mettre toutes les chances de son côté. Pour faire passer la résolution, elle doit réunir au moins 9 voix favorables sur 15, sans qu’aucun membre permanent (Chine, Russie, France, Royaume-Uni, États-Unis) n’oppose son veto.
Trois leviers diplomatiques sont déjà à l’œuvre :
A- Mettre en avant la catastrophe humanitaire : avec plus de 5 millions de personnes en insécurité alimentaire, plus d’un million de déplacés internes et des massacres quasi hebdomadaires, les États-Unis espèrent convaincre qu’il s’agit d’un impératif moral et humanitaire.
B- Souligner la menace régionale : Washington insiste sur le risque de contagion sécuritaire dans toute la Caraïbe, en raison du trafic d’armes et de la migration forcée. Un argument destiné à rassurer non seulement les voisins d’Haïti, mais aussi les Européens et Africains membres du Conseil.
C- Proposer des garde-fous : après les critiques des précédentes missions de l’ONU en Haïti (abus sexuels, choléra en 2010), les États-Unis tentent de rassurer en annonçant des mécanismes de surveillance des droits humains. Amnesty International et d’autres ONG restent néanmoins sceptiques.
Et si la Chine et la Russie posent leur veto ?
Le risque est bien réel. Pékin et Moscou dénoncent régulièrement ce qu’ils considèrent comme une « instrumentalisation humanitaire » au service des intérêts géopolitiques des États-Unis. La Russie, embourbée en Ukraine et en conflit diplomatique avec Washington, pourrait utiliser le dossier haïtien comme carte de négociation. La Chine, elle, pourrait s’opposer en invoquant la nécessité de respecter la souveraineté haïtienne.
Dans ce cas, plusieurs options existent pour contourner un veto :
▪︎ Assemblée générale de l’ONU : les États-Unis pourraient recourir à la résolution « Uniting for Peace » de 1950, qui permet de passer outre un blocage au Conseil de sécurité en transférant la question à l’Assemblée générale. Les décisions n’y sont pas juridiquement contraignantes, mais elles confèrent une forte légitimité politique.
▪︎ Coalition volontaire hors ONU : Washington pourrait créer une coalition ad hoc, comme en Irak ou au Kosovo, en rassemblant les pays de la Caricom, certains alliés européens et africains. Cela éviterait le veto, mais poserait des problèmes de légitimité et de financement.
▪︎ Renforcement bilatéral de la MMAS : en cas de blocage, les États-Unis pourraient simplement renflouer financièrement et logistiquement la force kényane déjà présente, tout en élargissant son mandat par des accords bilatéraux avec Haïti et les pays contributeurs.
Une question de légitimité et de souveraineté
Au-delà des calculs diplomatiques, la création de cette nouvelle force pose une question centrale : comment concilier sécurité et souveraineté ? Beaucoup de Haïtiens craignent une nouvelle occupation étrangère, marquée par des abus et une absence de résultats durables.
Les partisans du projet estiment cependant que la survie même de l’État haïtien est en jeu, et que l’alternative à l’intervention internationale est l’anarchie totale.
La résolution américaine et panaméenne ouvre une nouvelle étape dans la lutte internationale contre les gangs en Haïti. Si elle est adoptée, elle pourrait marquer un tournant décisif dans la sécurisation du pays. Mais si la Chine ou la Russie y opposent leur veto, Washington devra démontrer sa capacité à contourner le blocage diplomatique et à mobiliser une coalition alternative.
Quoi qu’il en soit, la réussite d’une telle mission dépendra moins des votes à New York que de sa capacité à rétablir la confiance du peuple haïtien, longtemps trahi par des interventions étrangères inefficaces ou néfastes.


