Par Jean Wesley Pierre
Port-au-Prince, août 2025 –
Les routes coupées, les murs détruits pour ouvrir des passages improvisés, les toitures en tôle arrachées, des maisons brûlées… C’est un décor de guerre que les gangs ont laissé derrière eux. Dans certaines maisons, des écriteaux sur les murs rendent hommage aux chefs de bandes armées, comme pour marquer leur territoire au fer rouge. L’odeur pestilentielle de l’abandon se mêle à la végétation qui reprend ses droits au cœur des ruines.
Et pourtant, dans ce champ de désolation, les déplacés commencent à revenir. Pas par espoir, mais par contrainte. Dans les camps de fortune, l’humiliation est permanente. Sous les bâches trouées et les tôles brûlantes, les familles vivent entassées, insultées, marginalisées.
« Par rapport à la vie sous des tentes, les gens disent toutes sortes de choses; sans respect ni éducation », raconte Pierre Mario, revenu nettoyer sa maison pour y vivre avec sa femme et ses quatre enfants. Mais rentrer chez soi, ce n’est pas habiter de nouveau. C’est réoccuper un espace détruit, sous la menace toujours présente des gangs.
Une réintégration impossible sans sécurité
Charles Esterline, résidente déplacée du camp de Bourdon, exprime le dilemme : « Je suis dans un camp, je leur ai dit de venir faire le ménage. Oui, je rentre chez moi, et je ne suis pas le seul à revenir. Beaucoup de gens disent qu’ils rentrent, mais ils n’ont pas les moyens pour survivre. »
Comment se réintégrer quand on revient dans une maison sans toit, dans une rue sans police, dans un quartier encore marqué par la terreur ? Les habitants balaient, repeignent, ramassent les débris. Mais ils savent qu’à tout moment, la violence peut revenir. La peur est dans chaque geste, dans chaque regard.
Un autre résident de Solino lance un appel désespéré : « Nous demandons au gouvernement d’assurer une sécurité adéquate. Je ne me sens pas bien là où je vis. »
L’État absent, un silence complice
Le vrai scandale, c’est que ces retours se font sans aucun accompagnement. Ni le gouvernement dirigé par le premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, ni les neuf membres du Conseil présidentiel de transition (CPT) n’ont mis en place une politique claire de relogement, de reconstruction ou de sécurisation des quartiers. On laisse les déplacés retourner seuls, nettoyer seuls, vivre seuls avec la peur.
Laisser des familles se réinstaller dans des ruines sans sécurité, c’est institutionnaliser l’abandon.
Survivre n’est pas se réintégrer
La réintégration, au sens fort, suppose trois conditions : la sécurité, le soutien économique et la reconstruction collective. Aujourd’hui, aucune de ces conditions n’est réunie. Ce qui existe, ce n’est pas une réintégration, mais une survie bricolée, une résistance silencieuse.
Les déplacés ne rentrent pas chez eux, ils campent sur leurs propres ruines. Ils ne reconstruisent pas, ils balaient la poussière du désastre. Ils ne retrouvent pas la dignité, ils s’accrochent à des murs calcinés pour ne pas mourir deux fois : une fois par la balle, une fois par l’oubli.
Tant que l’État se contentera de regarder de loin, le retour dans les quartiers restera une tragédie à huis clos, où le peuple lutte seul pour vivre là où l’on ne peut plus vivre.


