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Haïti: Les déplacés face au défi du retour dans leurs quartiers d’origine

PORT-AU-PRINCE.— Après des mois pour certains, des années pour d’autres remontant à 2021, des dizaines de familles déplacées par la violence armée tentent, aujourd’hui, de regagner leurs quartiers d’origine, après un message controversé du chef de gang, Barbecue, appelant à la paix. Mais ce retour, souvent perçu comme un soulagement, s’apparente davantage à une nouvelle épreuve qu’à une véritable réintégration.

Entre survie, reconstruction et absence criante de l’État, les déplacés qui n’ont pas le choix que de répondre à l’appel des gangs, savent déjà ce qui les attend. L’État laxiste n’a pas changé, les politiques publiques en matière de protection de citoyens n’existent toujours pas. Alors qu’aucun signal fort n’a été donné pendant qu’ils étaient dans les camps, les gens retournent pour servir d’appât aux criminels et au corrompus.

Des retours forcés ou contraints par les circonstances

Pour nombre de déplacés, quitter les sites d’accueil ne relève pas d’un choix libre mais d’une contrainte. La raréfaction de l’aide humanitaire, la pression des propriétaires des espaces occupés, souvent des écoles ou des édifices publics, ou encore l’insalubrité croissante des camps poussent les familles à vouloir retourner chez elles.

Si tant est le chez soi existe encore dans des quartiers comme Solino, Carrefour-Feuilles ou Nazon, que pourrait-il en reste pour s’y reconstruire? Des maisons incendiées, des toitures effondrées, des quartiers où les stigmates de la violence sont toujours visibles.

«Nous n’avions plus rien pour manger et l’école où nous étions hébergés allait rouvrir. Nous devons rentrer, même si les bandits ne sont pas loin», confie Marie-Lourdes, mère de trois enfants, revenue à Solino après un an de déplacement.

Un retour marqué par l’insécurité et la précarité

«L’appel des groupes armés ne signifie pas la fin des cauchemars. Beaucoup vivent encore sous la menace. L’accès aux services de base demeure limité: eau, électricité, soins de santé et écoles ont été totalement détruits», a décrit Yvenson Samedi, leader communautaire à Solino.

«Dans plusieurs quartiers, les déplacés retournent cohabiter avec les mêmes qui les ont chassés, et reviennent dans des maisons en ruines, des rues jonchées de débris», se lamente Samedi, soulignant que l’économie de ces gens qui vivaient du secteur informel aura de la peine à renaître.

«Les familles reviennent, mais sans accompagnement, elles restent vulnérables. Ce n’est pas un retour digne, c’est une survie», déplore Jean Fricot Jonkat, coordonnateur du Programme d’Orientation Communautaire pour l’Avancement des Démunis, situé à Delmas.

Pour une véritable réintégration

Selon les experts, un retour durable nécessite un ensemble de mesures combinées. Parmi lesquelles:
-Aide au relogement et reconstruction: Subventions pour réparer ou reconstruire les maisons détruites.
-Sécurité communautaire: Renforcement de la présence policière et dialogue avec les habitants pour restaurer la confiance.
-Relance des services sociaux de base: Réouverture des écoles, centres de santé, accès à l’eau potable et à l’électricité.
-Programmes économiques: Appui à la création d’activités génératrices de revenus, microcrédits et formation professionnelle.
-Accompagnement psychosocial: Prise en charge des traumatismes liés à la violence et à l’expérience du déplacement.

L’État, grand absent de toujours des quartiers fragilisés

Le constat est quasi unanime: la présence de l’État dans ces zones est faible, voire inexistante. Police sous-équipée, institutions sociales absentes, élus locaux marginalisés.

Le vide laissé par l’autorité publique est comblé tant bien que mal par les communautés elles-mêmes et les associations de quartier; et aujourd’hui, par les bandes criminelles qui contrôlent tout.

«Sans une politique publique claire sur la réintégration des déplacés, les efforts resteront éparpillés et insuffisants», souligne Jonkat.

La question du retour et de la réintégration des déplacés dépasse la simple dimension humanitaire. Elle touche directement à la sécurité, à la cohésion sociale et à l’avenir des villes haïtiennes.

Faute d’actions coordonnées, les quartiers fragilisés risquent de redevenir des foyers d’instabilité, alimentant un cycle sans fin de déplacement, de pauvreté et de violence. C’est de là qu’il faut mesurer un enjeu crucial pour la stabilité du pays.

Jean Mapou

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