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Haïti : Le système carcéral, la réinsertion des mineurs mise en cause

Par Jean Wesley Pierre

Port-au-Prince, le 28 octobre 2025 — ​Par un taux d’occupation sidérant de 804 % en 2015, les prisons haïtiennes sont depuis longtemps un symbole de crise humanitaire. Mais la récente escalade de la violence des gangs, culminant avec l’évacuation et la fermeture de plusieurs grands établissements, a transformé la crise structurelle en un chaos opérationnel total, faisant voler en éclats le principe élémentaire de séparation des détenus et réduisant à néant les fragiles efforts de réinsertion.

​Le CERMICOL transformé en complexe pénitentiaire

​Le principe de la séparation des détenus les femmes des hommes, les mineurs des adultes est un impératif légal et humanitaire fondamental. Pourtant, le système carcéral haïtien, déjà sous tension, a vu ce principe s’effondrer de manière spectaculaire à la suite des attaques survenues début 2024 contre le Pénitencier national et la prison de la Croix-des-Bouquets.

​Le Centre de Rééducation des Mineurs en Conflit avec la Loi (CERMICOL), conçu pour accueillir une centaine de mineurs, est devenu l’unique centre de détention opérationnel dans la région de Port-au-Prince. Il abrite désormais 370 personnes, soit des hommes adultes (dont d’anciens détenus du Pénitencier national), des femmes et des filles, entassées aux côtés des garçons. En septembre 2024, il comptait 149 femmes, 10 filles, 93 garçons et 118 hommes, dans un espace jugé par les experts comme non-sécurisé et non adapté.

​Cette cohabitation forcée est une violation flagrante des garanties judiciaires et du droit international, exposant notamment les filles et les femmes à un risque accru de violences sexuelles, un scénario déjà tragiquement observé dans d’autres prisons mixtes.

​De plus, cette promiscuité a eu un impact direct sur la mission éducative du centre. Les salles de classe sont réquisitionnées pour loger les adultes, et la cour de récréation des mineurs est désormais utilisée pour les ablutions des femmes.

Les programmes de formation académique et vocationnelle sont interrompus, dénaturant totalement la vocation du CERMICOL qui devrait donner la primauté à l’éducatif sur le répressif, conformément à la législation de 1961.

Le paradoxe de la réinsertion : punition sans jugement

​Les problématiques qui minent toute perspective de réinsertion sont doubles : l’insalubrité et la détention préventive prolongée (DPP). Les détenus subissent des conditions s’apparentant à des traitements cruels, inhumains et dégradants, voire à des actes de torture (selon l’ONU en 2021). Ils sont sous-alimentés, souffrent d’anémie et meurent de maladies infectieuses dans des locaux insalubres.

​Cependant, le plus grand obstacle à la réinsertion est le système judiciaire lui-même. En Haïti, le pourcentage de personnes en (DPP) détention préventive prolongée atteint des niveaux alarmants, dépassant les 82 % de la population carcérale générale en 2021 et s’élevant à 97 % chez les mineurs en 2024.

​Comme l’analysent les experts du Cermicol, la prison pour mineurs est aux prises avec une « enfance plus sûrement menacée que menaçante ». Les jeunes incarcérés, issus de la misère, de familles disloquées et des quartiers pauvres, sont souvent détenus arbitrairement pendant des années sans jugement. Cette situation constitue une « pénalisation du social » : des victimes de la précarité sont traitées en coupables, ce qui rend la mission de réhabilitation illégitime et inopérante.

​L’absence de fonctionnement du tribunal pour enfants de Port-au-Prince depuis 2019, faute de juges et de sécurité, vient sceller le sort de ces mineurs, dont beaucoup dépassent l’âge légal de détention (21 ans) sans jamais avoir été jugés.

Qui s’en charge ? Des efforts louables mais fragilisés

​Malgré le chaos, des acteurs nationaux et internationaux continuent de travailler pour maintenir une perspective de réinsertion, même minime. La direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP), elle est l’autorité centrale, mais manque cruellement de moyens.

Les ​organisations Internationales et ONG comme :

  1. ​Terre des Hommes-Italie (TDH-I) : Partenaire de la DAP depuis 2013. Il se concentre sur les mineurs en conflit avec la loi (MCL) et les femmes. Leur soutien repose sur quatre axes : amélioration du parcours de rééducation, renforcement de l’assistance psychosociale, rétablissement des liens familiaux, et renforcement des capacités logistiques et techniques de la DAP.
  2. ​MINUJUSTH/BINUH (Mission des Nations unies) : A financé des projets par le biais de son programme de Réduction de la violence communautaire (RVC).
  3. ​CICR (Comité international de la Croix-Rouge) : Concentré sur l’amélioration des conditions carcérales, l’hygiène et le respect des garanties judiciaires.
  4. ​Avred-Haïti (Association des volontaires pour la réinsertion des détenus en Haïti) : Propose des formations aux métiers manuels.

​Le projet phare mené à la prison civile de Hinche (depuis 2019) est un modèle d’occupation productive. Il a permis la mise en place d’un élevage de poulets, formant 116 détenus (hommes, femmes et mineurs) aux techniques avicoles. Ce projet a pour double objectif d’améliorer l’alimentation et de permettre aux détenus libérés de subvenir rapidement aux besoins de leurs familles, facilitant ainsi la réinsertion et la prévention de la rechute.

​Accès à l’Éducation et à la Culture : L’avant-projet de loi pénitentiaire insiste sur l’accès à l’enseignement (obligatoire pour les analphabètes et les jeunes), la formation professionnelle et les activités culturelles (comme le projet créatif et éducatif #IlEtaitUneFable). Les établissements sont censés posséder une bibliothèque et proposer un travail productif.

​Soutien Psychosocial et Familial : La TDH-I met l’accent sur l’accompagnement psychoaffectif et émotionnel et le rétablissement des liens familiaux (coordination des recherches familiales et suivi post-carcéral). Ce lien est jugé essentiel, car sans réseau de soutien, le travail de réinsertion peut être « réduit à néant ».

​Les initiatives de réinsertion en Haïti existent, portées par une volonté législative et par l’engagement d’organisations dévouées.

Cependant, ces efforts demeurent une goutte d’eau face au déluge d’une crise systémique. La réinsertion dans la société est un objectif impossible à atteindre tant que l’État ne parvient pas à garantir la séparation légale des détenus, à mettre fin à la détention préventive prolongée et à rétablir un système judiciaire fonctionnel et sécurisé.

Sans la garantie du droit d’être jugé, les prisonniers ne sont pas des individus en voie de réhabilitation, mais des victimes de l’arbitraire, ce qui rend la prévention de la récidive une bataille perdue d’avance.

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