Par Rodney Louis
Trois années de gouvernance ont suffi pour que le mandat d’Ariel Henry soit largement remis en question. Durant cette période, les promesses n’ont pas été tenues, la violence s’est intensifiée, les institutions se sont fragilisées, et la population a été confrontée à un abandon progressif de l’État. Son départ, devenu inévitable, a été perçu comme la fin d’un cycle politique sans direction claire. En réponse, un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) a été mis en place avec l’intention de restaurer une gouvernance inclusive. Ce conseil, composé de neuf membres, avait pour mission de poser les bases d’un renouvellement institutionnel, sécuritaire et démocratique.
L’objectif affiché était ambitieux : proposer une nouvelle Constitution, restaurer l’autorité de l’État sur les zones dominées par les groupes armés, et organiser des élections crédibles. Cependant, dès ses débuts, le Conseil a été confronté à des conflits internes et à des luttes d’influence qui ont détourné l’attention de ses objectifs initiaux. Des désaccords avec le Premier ministre Garry Conille ont accentué les fragilités structurelles du processus. Par la suite, des accusations de corruption ont éclaté, impliquant certains membres du CPT dans des pratiques de favoritisme et de clientélisme liées à des nominations publiques. Cette situation a compromis la crédibilité du Conseil et affaibli davantage le lien de confiance entre la population et ses représentants. Pire encore, certains conseillers ont tout simplement tourné le dos aux secteurs qu’ils représentaient, abandonnant la ligne politique du collectif pour satisfaire un égo démesuré et une soif de pouvoir inassouvie.
Sur le terrain, la situation sécuritaire s’est dégradée. De nouveaux territoires sont passés sous le contrôle des groupes armés, entraînant des déplacements massifs de population, une augmentation des violences et une crise humanitaire grandissante. Selon les données des Nations Unies, plus d’un demi-million de personnes sont aujourd’hui déplacées à l’intérieur du pays. Malgré cette réalité alarmante, les dépenses publiques restent élevées, sans qu’aucune amélioration concrète de la gouvernance ou de la sécurité ne soit observée.
Le gouvernement en place, dirigé par Alix A. Fils-Aimé, peine à proposer une vision claire ou un plan stratégique pour faire face aux défis du pays. Aucun programme national d’envergure n’a été communiqué pour reprendre le contrôle des zones affectées par la violence. Le projet de référendum constitutionnel, pourtant présenté comme une priorité, n’a pas été organisé, sans explication officielle malgré les moyens mobilisés. Cette absence d’initiative révèle une transition sans direction cohérente.
Dans ce contexte, il devient difficile d’envisager la tenue d’élections libres à court terme. La question de la sécurité doit être abordée en priorité, ce qui exige des capacités et une volonté politiques aujourd’hui jugées insuffisantes. Pourtant, des voix s’élèvent au sein de la société civile, de la diaspora, des milieux intellectuels et associatifs, réclamant une alternative nationale fondée sur l’éthique, la compétence et l’engagement collectif.
Plutôt que de poursuivre un processus de transition perçu comme inefficace, certains appellent à une refondation politique et sociale. Cela impliquerait une mobilisation au-delà des intérêts partisans, en faveur d’un projet national structuré autour de l’ordre, de la justice et de l’espoir. Dans cette perspective, la reconstruction du pays nécessiterait une nouvelle génération de leadership, capable de répondre aux attentes profondes de la population.
Haïti traverse une période critique, mais elle conserve les ressources humaines et morales nécessaires pour tracer un avenir différent.