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Haïti–France : deux siècles après, la rançon de l’indépendance hante encore l’histoire

Deux cents ans après le diktat de Charles X, Haïti attend toujours justice et réparation pour la rançon de 1825, qui a hypothéqué son avenir et brisé son essor économique.

Par Pierre Josué Agénor CADET

En juillet 1825, dix-neuf navires de guerre français, armés de plus de cinq cents canons, accostèrent dans les eaux haïtiennes. À leur bord, le général Baron de Mackau, envoyé du roi Charles X, portait une ordonnance exigeant du président de l’époque, Jean-Pierre Boyer, le paiement de cent cinquante millions de francs-or à la France.
Sous la menace des canons, Haïti dut accepter ce tribut exorbitant censé  » dédommager  » les anciens colons ou bourreaux français pour la perte de leurs esclaves et plantations.

Ainsi, vingt et un ans après la glorieuse conquête de l’indépendance de 1804, le premier État noir du monde libre se voyait contraint de payer le prix de sa liberté conquise au prix de la bravoure, de la détermination et du sang. Cette extorsion, véritable crime économique et politique, allait ruiner durablement la jeune République, freiner son développement et hypothéquer son avenir.

Deux siècles d’injustice

Deux cents ans plus tard, la plaie reste ouverte. En juillet dernier, à l’occasion du bicentenaire de cette ordonnance inique, plusieurs voix haïtiennes et étrangères se sont élevées pour réclamer à la France réparation et restitution.
Ce mouvement s’inscrit dans la continuité de l’initiative courageuse et nationaliste de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, qui, le 7 avril 2003, lors de la commémoration du bicentenaire de la mort de Toussaint Louverture au Musée du Panthéon National ((MUPANAH), avait solennellement exigé le remboursement de la rançon de 1825.

Une mémoire revisitée

Face à cette montée de la conscience historique, le président français Emmanuel Macron a annoncé la création d’une commission publique chargée d’examiner la nature et la portée des relations franco-haïtiennes.
De son côté, le Conseil présidentiel de transition (CPT) a mis sur pied une commission mixte franco-haïtienne, coprésidée par l’historienne haïtienne Gusti-Klara Gaillard Pouchet (mon ancienne professeure à l’INAGHEI en Relations internationales) et par l’historien français Yves Saint-Geours.

Cette commission a pour mission d’évaluer les conséquences économiques, sociales et politiques de la rançon imposée à Haïti en 1825 et de proposer des pistes de réparation. Un Comité national haïtien pour la réflexion sur la rançon (CNHRR), rattaché au Rectorat de l’Université d’État d’Haïti (UEH), a également été créé pour accompagner ses travaux.

Mais depuis la publication de l’arrêté de création, le silence s’est installé. La machine semble grippée.
Manque de financement ? Absence de volonté politique ? Ou simple oubli administratif ?
Les interrogations demeurent, et avec elles, la crainte que ce noble chantier ne sombre dans l’indifférence.

Un frémissement du côté français

Le 5 juin dernier, l’Assemblée nationale française a adopté une résolution reconnaissant officiellement l’injustice historique infligée à Haïti et invitant le gouvernement français à envisager des mesures concrètes de réparation.
Ce geste, salué par plusieurs observateurs, marque une avancée morale. Mais Haïti attend davantage qu’un simple symbole : le peuple haïtien réclame un acte de justice véritable.

Pour que mémoire rime avec responsabilité

Les universitaires et chercheurs haïtiens impliqués dans ces démarches ne manquent ni de compétence ni de patriotisme. Leur inactivité apparente témoigne sans doute des contraintes structurelles qui paralysent tant d’initiatives nationales.
Mais deux siècles après l’extorsion de 1825, il est temps que la mémoire se transforme en responsabilité, et que la justice historique trouve enfin sa traduction politique.

La rançon imposée à Haïti n’a pas seulement vidé ses caisses, elle a aussi sacrifié son avenir, affaibli son État et enchaîné sa souveraineté.

Aujourd’hui, plus que jamais, il est temps que la France et Haïti rouvrent ensemble les pages de cette dette morale, non pour diviser, mais pour réparer.

Pierre Josué Agénor CADET
Professeur d’histoire moderne et contemporaine à l’Université

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