Dans le ciel de certains quartiers de Port-au-Prince, un silence étrange a remplacé le bourdonnement joyeux des cerfs-volants. Autrefois, pendant la Semaine sainte, les hauteurs de la capitale vibraient au rythme des joutes aériennes. Les enfants, armés de ficelle, de papier et de patience, montaient sur les toits pour faire danser leurs cerfs-volants colorés dans les vents de Pâques. C’était un rituel, une tradition bien ancrée. Aujourd’hui, ce plaisir s’efface, emporté par la peur et les rafales de balles.
La fête pascale, bien plus qu’un moment religieux, représentait pour les plus jeunes une échappée vers le ciel. Fabriquer un cerf-volant, choisir la belle queue, renforcer la croix centrale, puis défier les autres dans des batailles amicales – tout cela faisait partie du charme. Mais dans les zones marquées par l’insécurité, tout cela a disparu.
« Avant, on ne pouvait pas faire dix pas sans voir un cerf-volant dans les airs. Les enfants couraient partout avec leur bobine. Maintenant, on ne voit plus rien, sauf des drones ou des balles », raconte Jean-René, un habitant de Delmas 30. Il désigne du doigt son toit, jadis animé par les rires, aujourd’hui désert et silencieux.
Pour Ronald, marchand de cerfs-volants à Pétion-Ville, les ventes sont au plus bas. « Avant, j’en vendais trente à quarante par jour pendant la semaine sainte. Cette année, j’en ai à peine vendu cinq. Les parents ne veulent plus que leurs enfants montent sur les toits. Trop dangereux », lâche-t-il avec amertume.
Kervens, 10 ans, habite dans un quartier autrefois paisible, Christ-roi. Il serre contre lui un cerf-volant qu’il a fabriqué avec son grand frère. « Maman dit que je ne peux pas aller jouer avec. Il y a des tirs. Si je monte, on peut me prendre pour un guetteur. Je peux être tué », murmure-t-il, les yeux baissés sur l’objet, symbole d’un rêve inaccessible.
Autrefois, la période pascale marquait le moment où les enfants reprenaient possession du ciel. Aujourd’hui, ce même ciel leur est interdit. Les cerfs-volants ne s’élèvent plus. Ils restent pliés dans un coin, vestiges muets d’une enfance suspendue.
« Les toits sont devenus des postes de guet pour les gangs, ou des cibles lors d’échanges de tirs avec les forces de l’ordre. Personne ne veut risquer la vie de son enfant pour quelques minutes de bonheur », soupire Mme Solène, grand-mère de six petits-enfants. « Quand j’étais petite, on se battait pour avoir le plus beau cerf-volant. Aujourd’hui, ils ne savent même plus comment en fabriquer un. »
Les combats de cerfs-volants ont laissé place aux affrontements armés. Le ciel, jadis terrain de jeux, est devenu zone de non-droit. Et avec chaque Pâques qui passe, c’est un peu de l’âme populaire haïtienne qui s’envole…