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Gaza : l’ONU accuse Israël de génocide, une conclusion lourde de conséquences

Par Jean Wesley Pierre

La guerre qui ravage Gaza depuis près de deux ans franchit un nouveau seuil dans la gravité des accusations internationales. Dans un rapport détaillé de 72 pages publié ce mardi 16 septembre 2025, la Commission d’enquête internationale indépendante du Conseil des droits de l’homme de l’ONU conclut qu’Israël commet actuellement un génocide contre les Palestiniens.

Le document estime que quatre des cinq actes définis par la Convention de 1948 sur la prévention du génocide sont réunis : meurtres de masse, atteintes physiques et psychologiques graves, conditions de vie intenables menant à la destruction du groupe et entrave aux naissances.

Israël rejette catégoriquement ces conclusions, qualifiant le rapport de « biaisé » et d’« instrument de propagande du Hamas ». Pourtant, les experts de l’ONU affirment avoir recueilli un large éventail de preuves documents officiels, témoignages, vidéos, photos satellitaires démontrant une politique systématique visant à détruire, en tout ou en partie, la population palestinienne de Gaza.

Les chiffres donnent la mesure de la catastrophe : plus de 64 000 morts, dont une majorité de civils et d’enfants, des infrastructures détruites à près de 80 %, et une famine organisée qui ravage les familles déplacées.

Une définition juridique appliquée pour la première fois à Israël

Ce rapport revêt un poids historique, car il applique directement la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide au cas d’Israël.

Jusqu’ici, le terme « génocide » était utilisé par des ONG, des experts indépendants, ou des États comme l’Afrique du Sud, qui a porté plainte contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ). Cette fois, c’est un organe onusien mandaté officiellement qui conclut sans ambiguïté à l’existence d’un génocide.

La Commission présidée par Navi Pillay estime que les déclarations publiques de hauts responsables israéliens comme Isaac Herzog, Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant révèlent une intention génocidaire explicite.

Le fait d’avoir qualifié les Palestiniens d’« animaux humains », d’avoir désigné « toute une nation » comme responsable et de promettre de « raser Gaza » ne relèverait plus seulement de la rhétorique militaire, mais d’une volonté politique assumée.

Le journalisme, cible privilégiée

Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), 192 reporters ont été tués depuis octobre 2023, dont plus de 90 % étaient Palestiniens. Des frappes ciblées contre des professionnels des médias, parfois identifiés et localisés, laissent peu de place au doute quant à l’objectif : faire taire les témoins gênants d’un conflit qui, sans caméras, resterait confiné à une guerre de chiffres et de récits contradictoires.

L’assassinat récent d’Anas al-Sharif, figure d’Al Jazeera, a illustré ce danger. Israël l’a accusé d’être lié au Hamas, sans apporter de preuves convaincantes, tandis que ses collègues rappelaient qu’il avait plusieurs fois critiqué le mouvement islamiste.

Une guerre qui dépasse Gaza

La portée de ces accusations dépasse le cadre du Proche-Orient. Si un génocide est officiellement reconnu, tous les États signataires de la Convention de 1948 ont l’obligation légale de prévenir et punir le crime. Cela signifie que la fourniture d’armes, le soutien logistique ou même la complaisance diplomatique pourraient être assimilés à de la complicité.

Des pays occidentaux comme les États-Unis, la France ou l’Allemagne, qui ont continué à livrer du matériel militaire à Israël, pourraient être mis en accusation dans l’arène internationale.

Par ailleurs, ce rapport renforce l’isolement diplomatique d’Israël, déjà critiqué par une grande partie de l’Amérique latine, de l’Afrique et du monde arabe.

Le roi d’Espagne, Felipe VI, habituellement réservé, a dénoncé publiquement « les souffrances indescriptibles » des Palestiniens. Même des voix inattendues des prêtres italiens, des athlètes comme Lewis Hamilton s’élèvent contre ce qu’ils appellent un « génocide en direct ».

Une bataille de récits et de légitimités

Israël maintient que son offensive est une réponse de légitime défense à l’attaque du 7 octobre 2023, qui avait causé la mort de 1 200 Israéliens et la prise en otages de 251 personnes.

Mais l’ampleur et la durée de sa riposte nourrissent la controverse. En droit international, la légitime défense ne peut pas justifier une guerre totale visant à détruire une population entière. En ce sens, l’accusation de génocide remet en question la légitimité même de l’État d’Israël sur la scène mondiale.

Pour Tel Aviv, l’enjeu est aussi existentiel : si le terme « génocide » s’impose juridiquement, cela pourrait ouvrir la voie à des mandats d’arrêt internationaux contre ses dirigeants, à des sanctions massives, voire à un bouleversement de ses alliances.

L’étiquette de « génocidaire » a marqué à jamais des régimes comme ceux du Rwanda en 1994 ou de la Serbie dans les années 1990. Israël, qui se présente comme un refuge pour un peuple ayant lui-même subi la Shoah, se retrouve ainsi accusé de reproduire l’un des crimes les plus graves que l’humanité ait définis.

Les dilemmes de la communauté internationale

L’ONU, malgré ses condamnations répétées, reste impuissante. Le Conseil de sécurité est paralysé par le veto américain, tandis que des États arabes normalisent leurs relations avec Israël, divisant le front régional. L’Europe, coincée entre sa solidarité historique avec Israël et la pression de ses opinions publiques indignées, peine à définir une position claire.

Le rapport met toutefois chaque pays devant sa responsabilité : se taire, c’est être complice. Les mots de Navi Pillay sont explicites : « Chaque jour d’inaction coûte des vies et érode la crédibilité de la communauté internationale. »

Une guerre contre l’imaginaire

Au-delà des destructions physiques, le conflit se joue aussi sur le terrain symbolique. L’écrivain Rachid Benzine rappelle que « l’on ne peut pas coloniser l’imaginaire ». Malgré les bombardements, les exils forcés, la famine, Gaza reste au cœur de l’imaginaire collectif palestinien et mondial. La littérature, le journalisme, les arts et la mémoire construisent une résistance qui transcende les ruines.

Ainsi, l’accusation de génocide dépasse la sphère du droit : elle pose une question fondamentale sur la survie d’un peuple et de sa culture. Les États qui choisissent de détourner le regard devront assumer, demain, le poids d’avoir cautionné, par leur silence, ce que beaucoup décrivent déjà comme l’une des plus grandes tragédies du XXIe siècle.

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