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Être mariée n’est pas un plan, voire des plans Q.

Par Jean Venel Casséus

Dans un monde qui confond liberté et dispersion, le mariage n’est plus perçu comme un cadre de croissance, mais comme une entrave ou un calcul. Pourtant, il n’a de sens qu’entre deux êtres déjà constitués : intellectuellement, économiquement et spirituellement. Être mariée n’est pas un “plan” : c’est un lieu de construction.

À chacun sa vie, à chacun sa vision du monde. Mais il y a des illusions qu’il faut briser. Le mariage, aujourd’hui, est souvent présenté comme un “plan A” ou un “plan B” dans la course à la réussite personnelle, une étape à cocher avant la trentaine, une validation sociale à afficher. On s’y engage non par conviction, mais par réflexe culturel, ou pire : pour satisfaire l’attente des autres. Pourtant, le mariage n’est pas un plan, c’est une architecture du sens. Il ne s’improvise pas. Il exige des fondations : une conscience, une stabilité, une vision du monde. Ce n’est ni un refuge ni une fuite. C’est un lieu d’élaboration de soi à travers l’autre.

Depuis quelques décennies, un discours s’est imposé : celui qui fait du mariage un symbole de soumission, une relique patriarcale. Certains le peignent comme la dernière prison que les femmes doivent fuir pour être libres. Mais cette lecture est paresseuse. Elle confond le mariage institutionnel, parfois dévoyé par la domination masculine, avec le mariage existentiel, celui qui unit deux libertés conscientes et égales. Le féminisme véritable ne consiste pas à fuir le mariage, mais à le redéfinir. À prouver que l’union n’annule pas l’indépendance, qu’aimer ne signifie pas renoncer à soi. L’émancipation ne réside pas dans le refus du lien, mais dans la maîtrise de ses conditions. La femme libre n’est pas celle qui rejette le mariage, c’est celle qui y entre par choix, non par contrainte, celle qui apporte un contenu, un métier, une pensée, une force. Le mariage cesse alors d’être une cage pour devenir un espace de co-création.

Notre époque prêche la liberté comme une religion. Mais trop souvent, cette liberté n’est qu’une solitude déguisée. Voir Amandine. Celle que chante Emeline Michel : « Amandine est au bout du bar. À son bec, une cigarette. Elle attend qu’un ange ou un mec, lui gratte son allumette. Oh, Amandine vient là tous les soirs, pour la danse et pour l’ambiance; pour les bons prix, la transe et puis l’espoir. Elle a son boulot, Elle a son auto, Elle a tout c’qu’il faut mais elle est toute seule ». On célèbre la femme “indépendante” comme une héroïne moderne, tout en la condamnant à porter seule le poids du monde : son travail, sa sécurité, ses émotions, son avenir. Cette autonomie totale, glorifiée par les réseaux sociaux, finit par ressembler à une fatigue existentielle. Car la vie ne se construit pas dans le rejet de l’autre, mais dans la relation. La vraie liberté n’est pas de se soustraire au lien, mais de le choisir avec lucidité. Le mariage, quand il est fondé sur la maturité, n’oppose pas liberté et engagement : il les réconcilie. Deux êtres accomplis ne s’emprisonnent pas, ils se fortifient mutuellement. L’amour n’est pas une chaîne, c’est une alliance. Et toute alliance suppose deux forces autonomes, non deux dépendances qui s’agrippent.

Être marié, c’est admettre que la vie ne se suffit pas d’expériences successives. C’est choisir la continuité dans un siècle de ruptures. C’est accepter que la maturité consiste à construire au lieu de consommer, à persévérer au lieu de recommencer. Le mariage ne s’oppose pas à la liberté, il la discipline. Il lui donne une forme, un horizon, une éthique. Et dans ce monde d’instantanéité, il est peut-être la dernière école de patience. L’autre eut à dire « … souviens toi, Je t’aime aujourd’hui, Ne l’oublie jamais quoi qu’il arrive… la vie à deux n’est pas toujours facile… Il nous faudra bien du talent… pour vivre ensemble ». On peut être féministe et croire à la valeur du foyer, non comme soumission domestique, mais comme cellule de civilisation. C’est dans le couple stable, fondé sur le respect réciproque, que s’apprennent la justice, la parole tenue, la responsabilité partagée.

On entend souvent dire : “Le mariage, c’est pour les faibles”, “Les hommes ne supportent pas les femmes fortes”, “On n’a plus besoin d’un homme pour exister”. Ces phrases, nées de blessures réelles, se sont transformées en slogans, puis en prisons mentales. Le problème n’est pas l’homme ni la femme, c’est l’immaturité des deux. Le mariage échoue non parce qu’il est une institution obsolète, mais parce qu’on y entre sans préparation. On se marie sans contenu, sans vision, sans compréhension du temps. On confond romantisme et construction, passion et stabilité. Ce n’est pas le mariage qui détruit les individus, c’est l’absence de contenu qui détruit le mariage.

On ne devrait pas se marier pour combler un vide, mais pour prolonger une plénitude. Le mariage n’a de sens que si chacun arrive déjà chargé de sa propre richesse intérieure : de ses idées, de son métier, de ses convictions. La beauté physique ne remplace pas la pensée. La séduction n’a pas de valeur sans stabilité. Le mariage, pour durer, doit unir deux visions, pas deux apparences. À trente ans, dans un cadre normal, on devrait être prêt à l’union, non parce qu’il faut “faire sa vie”, mais parce qu’on a déjà compris la vie. Le mariage devient alors un lieu de croissance partagée, un laboratoire de transmission. C’est là que se forgent les citoyens du futur, les enfants équilibrés, les héritages durables.

Il faut redonner au mot “mariage” sa dignité perdue. Non pas comme idéal religieux ou administratif, mais comme forme supérieure du lien humain. Dans un monde liquide où tout glisse, il demeure le dernier espace de solidité. Se marier, c’est dire à l’autre : je ne t’aime pas pour me compléter, mais pour continuer à devenir. C’est un pacte d’évolution, non d’asservissement. Un serment d’avenir, non une nostalgie des traditions. Le mariage n’est pas un piège pour les femmes fortes, ni une récompense pour les dociles. C’est un cadre de symétrie entre deux forces conscientes. C’est la rencontre du féminin et du masculin dans leur pleine maturité, celle où le désir cesse d’être fuite pour devenir promesse.

Être mariée n’est pas des plans Q. C’est un acte de conscience. Un engagement entre deux êtres pleins d’eux-mêmes et prêts à bâtir ensemble quelque chose qui les dépasse. Ce n’est pas une fin, mais une forme. Et dans une époque qui se dissout dans les apparences et la vitesse, cette forme reste peut-être la dernière promesse de stabilité humaine.


04 octobre 2025
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