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Et si nos frère Haïtiens pouvaient retrouver la force de notre solidarité!

La diaspora haïtienne est reconnue pour son dynamisme, sa créativité et sa résilience. Pourtant, elle se caractérise également par une fragilité relationnelle persistante, qui prend souvent la forme d’un déficit de solidarité interne. Cette réalité, maintes fois observée, s’exprime à travers un discours récurrent : « Moi, je n’irai jamais chez un mécanicien haïtien », « Je ne consulterai pas un médecin haïtien », « Je ne ferai pas confiance à un avocat haïtien ». Ces phrases, loin d’être anecdotiques, constituent des indicateurs d’un malaise profond : elles révèlent une méfiance généralisée à l’égard de ses propres compatriotes.

Les espaces numériques amplifient ce phénomène. Les réseaux sociaux, qui devraient être des lieux de connexion et de valorisation, deviennent souvent des arènes où les conflits interpersonnels et les accusations publiques déchirent la communauté haïtienne. Ce constat, dans le cadre d’une recherche qualitative que j’ai menée auprès de migrants hispaniques, ukrainiens et haïtiens, prend une dimension comparative éclairante.

Convergences et contrastes avec d’autres diasporas

Les résultats de mon enquête exploratoire montrent que les communautés migrantes étudiées mobilisent différemment les réseaux sociaux et les mécanismes de solidarité. Les Hispaniques, par exemple, utilisent prioritairement leurs espaces numériques comme des instruments de promotion mutuelle et de visibilité collective. Les Ukrainiens, malgré des clivages politiques profonds, préservent en contexte diasporique une cohésion minimale qui s’exprime par une défense commune de leurs intérêts. Quant aux Russes, souvent accusés de rivalités internes, ils s’abstiennent néanmoins de rendre publiques leurs divisions, privilégiant une gestion discrète des différends.

La diaspora haïtienne, à l’inverse, expose ses conflits au grand jour. Cette tendance à « laver son linge sale en public » affaiblit la perception externe de la communauté et entrave la construction d’un capital social positif (Putnam, 2000). En sciences sociales, ce capital social qui se manifeste par la confiance, la réciprocité et la coopération constitue l’un des fondements de la réussite collective des communautés immigrées.

Héritages et défis spécifiques à la diaspora haïtienne

Plusieurs éléments historiques et sociologiques permettent d’éclairer cette difficulté de cohésion :
• Un héritage de divisions politiques et idéologiques, qui structure encore aujourd’hui les rapports sociaux entre Haïtiens ;
• Une crise de confiance institutionnelle, héritée du rapport ambivalent avec l’État haïtien, souvent perçu comme défaillant, et transposée dans les interactions communautaires ;
• Un rapport complexe à la réussite individuelle, fréquemment interprétée comme une menace au lieu d’être perçue comme une ressource pour l’ensemble de la communauté.

Ces facteurs, combinés, contribuent à une fragmentation interne qui limite la capacité de la diaspora haïtienne à se constituer en force collective sur la scène économique, politique et culturelle.

Vers une redéfinition de la solidarité

Il est donc impératif de repenser la solidarité comme une stratégie de survie et de prospérité collective. Les sciences sociales montrent que les diasporas qui réussissent à consolider leurs réseaux internes créent des « économies ethniques » puissantes (Light & Gold, 2000), dans lesquelles chaque cabinet médical, chaque bureau d’avocat, chaque garage ou commerce devient un bien commun, un maillon de la chaîne collective. Ne pas soutenir ces initiatives équivaut à fragiliser l’édifice communautaire dans son ensemble.

La solidarité ne se confond pas avec la complaisance. Elle suppose au contraire un engagement éthique fondé sur trois principes :

  1. Loyauté communautaire, en évitant la dévalorisation publique de ses compatriotes ;
  2. Critique constructive, exercée dans le but d’améliorer les pratiques et non de détruire les individus ;
  3. Promotion des réussites individuelles comme patrimoine collectif, afin que chaque succès soit perçu comme une victoire partagée.

Conclusion

La diaspora haïtienne aux États-Unis est aujourd’hui à la croisée des chemins. Son avenir dépend de sa capacité à transformer ses divisions en cohésion et ses différences en complémentarité. Comme l’enseigne l’histoire des migrations, les communautés qui cultivent la solidarité se renforcent et prospèrent, tandis que celles qui s’entre-déchirent s’exposent à l’effacement.

Nous ne serons forts que lorsque nous serons unis.

Yves Lafortune
Wichita, Kansas
Le 20 septembre 2025

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