Celui qui méprise son passé ou qui ignore l’histoire de son pays est comme un arbre sans racines, que le vent peut renverser facilement à tout moment. Devenu un individualiste écervelé et un chasseur aveuglé de pouvoir à des fins de jouissance personnelle, l’Haïtien en général et les élites haïtiennes dominantes en particulier poussent l’incivisme jusqu’à l’indécence. Durant ces derniers temps, cet incivisme a pris une ampleur démesurée, qu’il tend à devenir la cause même de la faillite et de l’indigence d’Haïti. N’est-ce pas vrai que nos forts sont abandonnés et voués au dépérissement, au lieu d’en être des espaces sanctuaires à des fins éducatives et touristiques, que des dates charnières et des héros de notre histoire sont profanés, que la montée de notre drapeau passe aujourd’hui inaperçue ? N’est-il pas vrai qu’ils sont nombreux ceux et celles qui ne connaissent pas notre hymne national, qui piétinent les lois et nos valeurs pour pratiquer la corruption, qui vendent leur âme pour faire fleurir l’importation contre la production nationale ? N’a-t-on pas vu que la plupart des entreprises publiques sont prises en otage ou que d’autres se transforment en succursale pour recevoir des produits importés qu’elles produisaient elles-mêmes ? Ils sont devenus peu nombreux les Haïtiens qui habitent vraiment Haïti. La réalité des 3 dernières années ne montre-t-elle pas que bon nombre de ceux qui sont encore là n’attendent que le prochain avion ou bateau pour s’embarquer avec tout ce que le pays leur a donné, le laissant en guenilles sans remord ni regret.
Dans cette descente aux enfers, peut-on arguer que l’occupation a fini par consommer l’esprit de 1804, et notamment par sécher dans nos veines les grands idéaux de Dessalines. Beaucoup de faits portent à croire que nous avons perdu nos repères ou qu’ils sont brouillés. L’Haïtien d’aujourd’hui connaît mal son histoire ou ignore une bonne partie de ce qu’il aurait dû chaque jour remémorer dans sa tête et répéter dans sa bouche comme une prière quotidienne. L’école au sens large ne répond pas à son devoir ni d’éducation civique ni de mémoire. Alors, au lieu de faire de la déclaration malheureuse d’Etzer Emile un psychodrame, dans une démarche punitive et déshonorante à des fins électoralistes, il faut plutôt la placer dans le cadre d’une problématique globale qui traverse la société haïtienne, qu’il convient d’expier et de corriger pour rompre avec le système qui a conduit le pays au bord du précipice.
Haïti semble vivre actuellement un moment charnière invitant, comme l’a dit Alice Canabate, « à des quêtes ou reconquêtes de sens et d’actions », et faisant en sorte qu’au milieu de tout, en différents lieux par différents acteurs, il y a un nom qui résonne : Dessalines. Au lieu de polémiquer pour des raisons plus partisanes qu’objectives, les historiens ont pour responsabilité professionnelle et éthique de nettoyer l’histoire de ses couches poussiéreuses, en vue de faire briller la vraie vérité autour de cet homme, tout en le replaçant dans le contexte et les impératifs de son temps, voire tout en reconnaissant et en admettant que comme tout humain il a lui aussi ses propres faiblesses. Les professionnels de l’éducation, tout comme ceux des organisations, des centres d’étude et de recherche en sciences sociales, ont à leur tour pour rôle de prendre les voies et moyens pour éduquer le peuple. Ce sont là certaines des articulations sociales à mettre en place pour redonner à la société le sens de l’histoire et de la liberté, tout en nous donnant des outils efficaces et durables pour faire face à nos propres défis pour un nouveau mode social historique.
Le consensus est fait sur Jean-Jacques Dessalines en tant que glorieux guerrier et immortel Fondateur de l’indépendance d’Haïti. N’est-ce pas Stéphen Mesmin Alexis qui eut à dire : « Jamais une nation n’a contracté une dette aussi lourde envers un homme que celle due par la République d’Haïti à Jean-Jacques Dessalines ». Mais, ils sont peu nombreux ceux qui voient en outre en lui une icône de la liberté universelle, et très peu encore sont ceux qui reconnaissent qu’il mérite d’être élevé sur la montagne comme un dieu : Legba Dessalines Le Grand, ainsi que les Romains après avoir défait Romulus le placèrent au ciel, parce qu’il avait été le fondateur de Rome. Faisons de notre histoire un grand livre de leçons apprises et un phare qui guide notre équipage dans les ténèbres de la nuit pour parvenir à bon port.
Abner Septembre
Sosyete Lakou Dessalines
@ Vallue, 26 Octobre 2025

