Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, la scène politique haïtienne est fragmentée entre initiatives concurrentes, accords partiels et tentatives de transition avortées. Alors que le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), né en 2024, fait aujourd’hui l’objet de vives critiques, de nombreuses voix s’élèvent pour appeler à une harmonisation des différentes propositions politiques en vue d’une sortie de crise durable. Mais cette convergence est-elle possible ? Et à quelles conditions ?
*Port-au-Prince, le dimanche 6 juillet 2025.- * La transition actuelle repose sur une accumulation de textes et d’engagements issus de groupes politiques et d’acteurs de la société civile aux orientations diverses. L’Accord du 21 décembre 2022, entre l’ancien Premier ministre Ariel Henry, certaines forces sociopolitiques, visait la formation d’un gouvernement de transition élargi et la tenue d’élections en 2023 – une échéance qui n’a jamais été respectée.
De son côté, l’Accord de Montana, lancé dès 2021, défend une approche de rupture, avec une transition dirigée par la société civile et un exécutif bicéphale. De ces groupes, est né l’Accord du 3 avril 2024 qui a permis la création du CPT, composé de neuf membres. Mais cette structure souffre aujourd’hui d’un manque criant de légitimité et d’efficacité.
À ces textes s’ajoutent une multitude d’initiatives politiques, sociales et citoyennes, portées par des partis comme EDE, des intellectuels, ou encore des recommandations internationales issues de l’OEA, de la CARICOM ou de l’ONU. Le résultat est une véritable cacophonie politique, marquée par la méfiance, la compétition et l’absence d’une vision commune.
Vers une harmonisation sous médiation régionale ?
Face à ce morcellement, la CARICOM, par l’intermédiaire de son Groupe de Personnalités Éminentes, s’efforce depuis 2023 de créer une plateforme de dialogue capable de réunir les différents camps. La réunion du 1er juillet 2025, qui a rassemblé les signataires des principaux accords ainsi que des représentants du CPT, a ouvert une perspective encourageante.
Des propositions ont été mises en avant pour rendre possible une convergence : une réduction ou une recomposition du CPT, plus représentative et efficace ; la création d’un gouvernement de large consensus, fondé sur des principes communs tirés des différents textes existants ; et la définition d’un calendrier électoral inclusif, tenant compte à la fois des exigences de rupture portées par Montana, des principes d’inclusion issus de l’Accord du 3 avril, et du séquençage institutionnel proposé dans l’Accord du 21 décembre.
Il ne s’agit plus de privilégier un accord au détriment des autres, mais plutôt d’identifier les éléments compatibles entre eux pour bâtir un socle de compromis. La médiation régionale s’impose ici comme un cadre neutre et structuré, capable de garantir un équilibre entre les sensibilités et de prévenir l’exclusion de certaines voix.
Les conditions d’une convergence possible
L’harmonisation des propositions politiques est envisageable, à condition que certains préalables soient réunis. D’abord, elle exige une volonté politique sincère de la part des acteurs locaux. Sans une disposition claire à dépasser les intérêts partisans, toute tentative de synthèse risque de rester lettre morte.
Ensuite, cette convergence suppose un espace de négociation crédible, structuré, et reconnu par tous. Le rôle de la CARICOM pourrait être décisif, à condition que son intervention soit respectée et acceptée par l’ensemble des groupes. Par ailleurs, il est crucial d’écarter les personnalités impliquées dans des affaires de corruption ou liées aux groupes armés, afin de restaurer la confiance du public dans le processus.
L’harmonisation nécessite également un alignement autour d’objectifs clairs et concrets, comme le rétablissement de la sécurité, le retour à l’ordre constitutionnel, la reprise des services publics et l’organisation d’élections crédibles. Enfin, aucune solution durable ne pourra émerger sans l’inclusion active de la société civile, des jeunes, des femmes et des territoires souvent marginalisés du processus politique.
Le risque de l’échec : un chaos durable
À défaut d’un accord harmonisé, le processus de transition risque de sombrer dans un enlisement prolongé. Le CPT, déjà affaibli, pourrait se retrouver isolé, tandis que l’échéance électorale resterait hors de portée. La fragmentation politique actuelle ouvre la voie à des scénarios préoccupants : montée en puissance des gangs, résurgence d’un autoritarisme déguisé ou effondrement des institutions restantes. L’appui international, lui aussi, pourrait s’effriter face au manque de résultats concrets, aggravant l’isolement du pays.
Construire une base politique commune
L’harmonisation des accords et propositions politiques n’est pas une utopie. Elle exige toutefois une méthode rigoureuse, une médiation légitime, et surtout une volonté collective de sauver l’essentiel. Si les divergences sont réelles, les points de convergence existent aussi : tous les camps souhaitent éviter le chaos, reconstruire l’État et répondre à l’attente d’une population épuisée.
La CARICOM offre aujourd’hui un cadre structurant pour cette démarche. Encore faut-il que les acteurs haïtiens aient le courage de dépasser leurs rivalités pour construire ensemble une base politique commune, capable de ramener l’ordre, la légitimité et l’espoir.
Par Gesly Sinvilier