En déclarant publiquement qu’il n’était pas favorable à certaines nominations diplomatiques, mais que celles-ci ont tout de même été réalisées, le Président du Conseil présidentiel de transition (CPT), Fritz Alphonse Jean, a posé malgré lui un constat troublant : celui de son propre désaveu au sommet de l’État.
Cette déclaration, loin d’être anodine, révèle une crise aiguë de leadership à la tête du CPT, une crise dont les conséquences pourraient s’avérer désastreuses pour Haïti, tant sur le plan interne que dans sa projection sur la scène internationale.
Une autorité contestée, voire affaibli
Dans tout organe collégial, l’autorité du président repose non seulement sur son rôle institutionnel, mais aussi sur sa capacité à diriger, à rassembler, et à faire respecter les orientations communes. En ce sens, le fait que des nominations diplomatiques puissent être faites en contradiction flagrante avec la volonté du président du CPT est symptomatique d’un profond dysfonctionnement. Cela envoie un message clair : Fritz Alphonse Jean ne détient pas le contrôle réel sur les décisions stratégiques, même lorsqu’elles relèvent directement de la représentation de l’État à l’étranger. Un président dont les décisions sont ignorées est un président affaibli – et cette faiblesse, visible à l’intérieur, est également perçue à l’extérieur.
Cette absence d’autorité effective décrédibilise non seulement la présidence du CPT, mais aussi l’ensemble de la transition. Elle ouvre la porte à l’arbitraire, aux intérêts personnels et aux règlements de comptes politiques, dans un moment où Haïti a cruellement besoin de stabilité, de cohérence et de vision.
Une diplomatie sacrifiée sur l’autel des intérêts partisans
Les querelles internes du CPT ne sont pas de simples divergences politiques : elles ont des effets concrets et dommageables sur la diplomatie haïtienne. Alors que le pays devrait s’efforcer de reconstruire une image forte, de relancer des partenariats et de défendre ses intérêts sur la scène internationale, il est contraint à l’inaction, à la confusion, voire au ridicule.
La nomination de diplomates sur des bases clientélistes ou partisanes, au mépris d’une vision stratégique claire, affaiblit considérablement la crédibilité d’Haïti auprès de ses partenaires internationaux. Elle empêche toute planification cohérente et mine les efforts de redressement diplomatique dont le pays a pourtant un besoin vital dans le contexte actuel de crise sécuritaire, économique et institutionnelle. Qui, à l’étranger, peut prendre au sérieux un État dont le chef du Conseil présidentiel est ignoré par ses propres collègues ?
Une transition capturée par des ambitions personnelles
Au lieu de se consacrer à l’essentiel, poser les bases d’une gouvernance apaisée, jeter les jalons d’un retour à l’ordre constitutionnel, et soulager la population accablée par l’insécurité et la pauvreté, les membres du CPT semblent davantage préoccupés par le partage des postes et des privilèges. Cette attitude irresponsable s’apparente à un pillage organisé d’un État déjà à genoux. C’est un affront à l’intelligence des citoyens haïtiens, un mépris pour les sacrifices de ceux qui aspirent à un avenir différent.
Le CPT, censé incarner une transition de rupture, donne l’image d’un club d’intérêts particuliers, hermétique aux besoins urgents de la population. Ce comportement opportuniste alimente le cynisme et la défiance des citoyens envers les institutions. Il condamne toute tentative de redressement, puisqu’aucune réforme sérieuse ne peut émerger dans un climat où la survie politique passe avant l’intérêt collectif.
En définitive, la déclaration du Président Fritz Alphonse Jean n’est pas qu’un aveu d’impuissance : elle est le symptôme d’un échec collectif. Loin de restaurer la confiance et la dignité des institutions, le CPT enfonce le pays dans un cycle de petites querelles et de grandes trahisons.
Haïti mérite mieux que des dirigeants absorbés par des luttes d’influence. Elle mérite une diplomatie forte, une gouvernance cohérente et un leadership capable d’imposer une vision partagée. Sans cela, la transition ne sera qu’un autre chapitre de désillusion dans l’histoire récente du pays.
Par Gesly Sinvilier