Par Pierre Josué Agénor Cadet
Les coulisses du Conseil présidentiel de transition (CPT) ressemblent de plus en plus à un théâtre d’ombres où se mêlent dès le début tractations politiques, argent sale et pressions internationales. Le 30 avril 2024, l’élection du Premier ministre a offert un spectacle digne d’un scénario politique haïtien : rebondissements, scandales et volte-face spectaculaire.
Au départ, le nom de Paul Antoine Bien-Aimé (ancien ministre de l’éducation nationale et ancien titulaire du ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales) circulait comme le favori incontestable pour diriger la Primature. Mais un accord discret (un deal) entre Edgard Leblanc Fils, candidat au poste de coordonnateur du CPT, et Jean-Charles Moïse, chef du parti Pitit Dessalines, bouleversa la donne. Résultat : Fritz Bélizaire fut élu Premier ministre et Leblanc coordonnateur du Conseil présidentiel de transition , grâce à une majorité absolue (négociée) de 4 voix sur 7.
» C’était une mascarade, une manœuvre dolosive « , confia, amer, un conseiller ayant voté contre. Quelques minutes plus tard, les trois opposants annonçaient l’annulation pure et simple du scrutin.
Face à ce chaos, le CPT adopta une résolution exceptionnelle ou à l’haitienne tout court: désormais, une majorité qualifiée de 5 voix sur 7 serait requise pour toute décision majeure. Par ailleurs, une présidence tournante fut instaurée à la tête du Conseil, censée augmenter le nombre de bénéficiaires du gâteau et rendre plus fragile le CPT.
D’après plusieurs témoignages, un grand homme d’affaires, resté dans l’ombre, aurait offert à chaque conseiller favorable 500 000 dollars américains pour s’assurer de l’élection d’Alix Didier Fils-Aimé. » L’offre était trop belle pour certains « , confie un proche du dossier. La victoire de Fils-Aimé semblait acquise, et les préparatifs pour sa proclamation officielle avaient déjà commencé.
C’est alors qu’un coup de fil inattendu changea le cours des événements. Selon des sources concordantes, un individu se présentant comme un haut fonctionnaire du département d’État américain menaça directement les membres du CPT : » Si vous choisissez Fils-Aimé, attendez-vous à de lourdes sanctions « . On ne saurait douter que les membres du CPT tombent dans le piège des faux blancs.
Pris de panique, les conseillers plièrent. On a senti le poids de l’ingérence, c’était clair , souffle l’un d’eux, sous couvert d’anonymat.
Le lendemain, contre toute attente, Garry Conille fut élu Premier ministre à l’unanimité. L’arrêté fut publié dans la foulée. À New York, Conille annonçait sa démission de son poste de directeur de l’UNICEF (pour l’Amérique latine et les Caraïbes ) pour regagner Port-au-Prince et assumer ses nouvelles fonctions politiques.
Croyant Conille acquis à la cause des américains, les membres du CPT le laissèrent constituer son gouvernement sans contrainte. Il put même s’approprier tous les ministères régaliens.
Le renvoi de Conille découla de la mise au jour de ce stratagème par les membres du CPT et de l’impératif qui s’ensuivit de procéder sans délai à son remplacement par Fils-Aimé, dans le cadre de reddition de comptes.
Cet épisode, entre marchandages, corruption et pressions extérieures, met en lumière la fragilité des institutions de transition en Haïti. Le CPT, censé incarner la stabilité et le renouveau démocratique, apparaît au contraire comme un terrain miné, livré aux influences contradictoires.
» Ce qui s’est passé est un miroir de nos faiblesses : absence de consensus, corruption endémique et vulnérabilité face aux ingérences étrangères , analyse un politologue haïtien.
(Extrait du 35e livre de Pierre Josué Agénor Cadet, Histoire politique d’Haïti de 1804 à 2025 ou Mémoire d’un État capturé, à paraître très bientôt)
Pierre Josué Agénor Cadet


