vendredi, octobre 24, 2025
12.2 C
Londres

Comment finir avec la transition : Wilson Laleau esquisse des propositions de sortie du boucle infernal

Haïti demeure piégée dans un cycle interminable de transitions et de crises constitutionnelles. Wilson Laleau propose une méthode graduelle et expérimentalement encadrée : une transition conçue comme laboratoire constitutionnel, associée à une reformulation économique centrée sur le capitalisme coopératif et la décentralisation. Objectif : sortir durablement de la spirale prédatrice et reconstruire l’État à partir des territoires et des acteurs locaux.

Ses propositions qui requièrent un scrutage approfondi sont consignées dans un document de 24 pages publié ce 15 octobre 2025 qui intitule: Transitions politiques et changement de la Constitution : nous avons tout faux. Comment sortir durablement des transitions politiques en Haïti ?

Un diagnostic sévère : la transition comme piège récurrent

Pour Wilson Laleau qui est ancien vice recteur aux affaires académiques de l’Université d’État d’Haiti, les transitions haïtiennes échouent moins à cause des textes que par absence de préparation, d’expérimentation et de légitimité politique. « Une nouvelle Constitution ne peut rien sans un environnement politique viable et sans mécanismes de contrôle réels », soutient-il.
Autrement dit, la transition ne doit plus être une rupture improvisée, mais un processus d’apprentissage institutionnel.

Son diagnostic met en lumière trois fragilités structurelles :

La centralisation excessive, qui favorise la capture oligarchique et la dépendance extérieure ;

La faiblesse des partis et de la société civile, trop dispersés pour peser dans les décisions publiques ;

L’État prédateur, lié à une oligarchie qui bloque toute réforme redistributive.

Ces facteurs combinés expliquent, selon lui, l’instabilité chronique du pays et la difficulté à établir un cadre constitutionnel durable.

Une transition comme laboratoire politique

L’économiste Laleau plaide pour une constitution transitoire de cinq ans, conçue comme un espace d’expérimentation démocratique.
Son modèle repose sur trois phases :

  1. Stabilisation – un président « custode » non polarisant et un gouvernement de coalition chargés d’assurer le retour à un minimum de stabilité institutionnelle.
  2. Expérimentation – mise en place de gouverneurs départementaux, d’assemblées de maires et d’un comité de suivi pour tester la gouvernance décentralisée.
  3. Conférence nationale constitutionnelle – élaboration d’une Constitution définitive fondée sur les leçons de la période expérimentale.

Ce processus, selon Laleau, permettrait de transformer la transition en apprentissage collectif, et non en simple réécriture constitutionnelle.

Une mutation économique à la clé

La réforme politique s’accompagne d’une refondation économique. Laleau comme ancien ministre des finances sous le gouvernement de Michel Martelly prône un capitalisme coopératif, fondé sur la participation locale, la diaspora et les coopératives départementales. Ce modèle vise à rompre avec la logique d’un État prédateur pour bâtir une économie solidaire, capable de produire des biens publics et de réduire les inégalités.

Les coopératives y jouent un rôle pivot : elles articulent participation citoyenne et développement économique. Inspiré d’expériences comme Mondragon (Espagne) ou Desjardins (Canada), ce modèle entend offrir un contrepoids à l’oligarchie traditionnelle et renforcer les bases de la démocratie économique.

Les garde-fous institutionnels

Pour éviter la capture du système, Laleau, ancien étudiant et professeur au CTPEA insiste sur :
la transparence, la reddition de comptes et le renforcement des institutions existantes ;
la décentralisation coordonnée, appuyée par des gouverneurs départementaux et des assemblées locales dotés de contre-pouvoirs ;
l’éducation et la justice sociale comme priorités, avec un financement accru des cantines scolaires et la reconnaissance effective des droits socioéconomiques (éducation, santé, travail).

Une approche théorique intégrée

L’analyse s’appuie sur la littérature des transitions démocratiques (Fatton, Dumas, Sprague) pour défendre l’idée d’une transition comme processus d’apprentissage institutionnel. Ce cadre théorique offre à Haïti une grille d’interprétation originale : apprendre à gouverner avant de prétendre refonder.

Le modèle coopératif apparaît ici comme un instrument de stabilisation, capable de soutenir la démocratie locale et de renforcer la cohésion nationale.

Limites et interrogations

Si la proposition séduit par sa cohérence, plusieurs zones grises demeurent selon certains observateurs consultés mais pas dérangeants:

L’efficacité d’un président custode reste hypothétique, faute de mécanismes concrets pour éviter blocages et dérives.
La décentralisation suppose des ressources financières et une coordination robuste entre les échelons locaux et centraux.
Le passage du politique à l’économique – entre laboratoire constitutionnel et économie coopérative – nécessiterait une forte adhésion sociale et des garde-fous précis.

Enjeux à surveiller

L’approche de Wilson Laleau, ancien ministre du commerce et de l’industrie en Haïti soulève plusieurs défis :

Faisabilité politique : peut-on bâtir une coalition stable dans un contexte de fragmentation ?

Ancrage territorial : quelles régions serviraient de pôles pilotes pour tester cette gouvernance expérimentale ?

Financement et reddition de comptes : comment garantir l’intégrité du processus ?

Évaluation : quels indicateurs permettront de mesurer le succès de la transition (stabilité, services publics, inclusion sociale) ?

Une vision pragmatique pour sortir du piège

En somme, Wilson Laleau esquisse une sortie réfléchie du cycle de transitions : une méthode graduelle, fondée sur la décentralisation, la coopération économique et la participation citoyenne.
Sa proposition refuse l’improvisation et appelle à reconstruire l’État par l’expérience et la transparence.
Reste à savoir si les acteurs politiques haïtiens accepteront d’entrer dans ce laboratoire collectif, où la transition ne serait plus une fuite en avant, mais le début d’une reconstruction durable.

Wideberlin Sénexant

Hot this week

Accord Karibe appelle à la mobilisation et réclame une “tabula rasa” du système politique

L’Accord Karibe accuse le CPT et le Premier ministre...

Bilan partiel de la tempête tropicale Mélissa: un mort et cinq blessés selon la Protection civile

PORT-AU-PRINCE.— La tempête tropicale Mélissa, qui balaie actuellement le...

Haïti: cinq départements placés en vigilance orange face à la tempête tropicale Melissa

PORT-AU-PRINCE.— La tempête Melissa se renforce dans la mer...

Haïti: Le compte à rebours de la transition a commencé, avertit l’ONU

À moins de quatre mois de la fin du...

ARTIBONITE: LE NOMBRE DES DÉPLACÉS INTERNES SE MULTIPLIE, SELON L’OIM

Les bandes armées opérant dans le département de l'Artibonite,...

Topics

Related Articles

Popular Categories