Alors que la transition politique en Haïti cherche encore ses repères, le pays s’accroche à l’horizon incertain du retour à l’ordre constitutionnel. Le Conseil Électoral Provisoire (CEP), au complet depuis décembre 2024, s’efforce de poser les jalons d’un processus électoral crédible. Mais dans un contexte marqué par l’insécurité généralisée, les déplacements de populations, et l’effondrement de la confiance institutionnelle, les rendez-vous politiques attendus – référendum constitutionnel et élections générales – peinent à s’inscrire dans un calendrier réaliste.
Cela fait huit mois que le CEP a été officiellement complété par l’installation des neuf membres issus des différents secteurs de la vie nationale. Cette formation, fruit d’un long processus de négociations entre les membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), a suscité un accueil mitigé. Si certains y voient une avancée vers le rétablissement des institutions démocratiques, d’autres soulignent les limites du processus de désignation et les incertitudes entourant la capacité réelle du CEP à remplir sa mission dans le contexte actuel.
Depuis sa mise en place, le CEP a entrepris plusieurs démarches importantes : mise en place de cellules techniques, discussions avec les partenaires internationaux, mobilisation d’un dispositif de sécurité électorale, recrutement du personnel des BED et des BEC, et consultations avec les partis politiques. Malgré ces efforts, l’organisme électoral reste entravé par un environnement national instable et difficilement maîtrisable.
*Le référendum constitutionnel reporté*
Le CEP avait initialement fixé au 11 mai 2025 la date d’un référendum portant sur l’avant-projet de nouvelle Constitution. Ce texte, élaboré à la suite de la Conférence Nationale, visait à corriger les lacunes de la Constitution de 1987 amendé et proposer un cadre institutionnel plus adapté aux réalités haïtiennes.
Cependant, dans une déclaration rendue publique le 25 avril 2025, le CEP a officiellement reconnu son incapacité à organiser ce scrutin, en raison notamment de :
– L’insécurité persistante dans plusieurs régions du pays ;
– L’incapacité de nombreux citoyens déplacés à récupérer leurs pièces d’identité ou cartes électorales ;
– L’absence de conditions logistiques minimales pour garantir la transparence du processus.
Ce report, bien que justifié, a contribué à accroître les incertitudes autour du calendrier de la transition politique.
*Des élections générales de plus en plus repoussées*
En principe, les élections générales – présidentielles, législatives, municipales – devraient suivre le référendum. Pourtant, à l’heure actuelle, aucune date officielle n’a été fixée. Le CPT s’était initialement engagé à organiser les scrutins avant la fin de l’année 2025 ou au début de 2026. Mais l’insécurité, la faiblesse de l’appareil administratif, l’inexistence d’un registre électoral actualisé et l’ampleur de la crise humanitaire rendent ce scénario de plus en plus improbable.
Tant la communauté internationale (CARICOM, OEA, ONU) et les acteurs locaux conviennent que les élections doivent se tenir dans des conditions acceptables de participation, de transparence et de sécurité. En l’état actuel, ces conditions ne sont pas réunies. Plusieurs observateurs estiment donc que l’année 2026 est désormais la cible la plus réaliste pour un retour effectif aux urnes.
*Reconstruire la confiance et créer des conditions propices*
Le retour à l’ordre démocratique par les élections ne dépend pas uniquement de la présence d’un CEP en fonction. Il exige :
– Un désarmement progressif et un contrôle des zones occupées par les gangs armés ;
– Un effort massif de réenregistrement et de documentation de la population déplacée ;
– Des garanties politiques et institutionnelles fortes ;
– Un dialogue franc et inclusif entre les forces vives de la Nation.
En attendant, le CEP poursuit ses préparatifs, dans l’espoir que les conditions requises pourront être réunies à moyen terme. Le pays, quant à lui, demeure suspendu entre l’urgence de refonder ses institutions et l’impossibilité de le faire dans des conditions fragiles.
Gesly J. Sinvilier