L’arrestation de Pierre Réginald Boulos, le 17 juillet 2025 à Miami, par les autorités américaines, marque un événement retentissant dans le paysage politique et judiciaire haïtien. Accusé, entre autres, de participation à une « campagne de violence et de soutien aux gangs », le puissant homme d’affaires et dirigeant de parti devient, pour la première fois, le façade exposée d’une élite économique soupçonnée de nourrir l’insécurité à des fins politiques et économiques.
Mais si cette arrestation secoue les sphères du pouvoir et les salons huppés de Port-au-Prince, elle soulève aussi de sérieuses interrogations dans les milieux de défense des droits humains. Car ce que révèle ce dossier va bien au-delà de la chute d’un homme. Il jette une lumière crue sur un système, mafieux d’accointances entre argent, politique et violence armée, toléré et parfois encouragé pendant des décennies.
Le silence complice de l’État haïtien est donc insoutenable
Le fait que ce soit les États-Unis, et non la justice haïtienne, qui procèdent à l’arrestation de Boulos en dit long sur l’effondrement de l’État de droit en Haïti. Alors que les rapports de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), ou de la Cour des comptes s’empilent dans l’indifférence générale, les institutions haïtiennes restent muettes, paralysées ou complices.
Où sont les mandats? Où sont les enquêtes nationales? Pourquoi faut-il attendre que Washington agisse, quand des dizaines d’organisations haïtiennes de droits humains dénoncent, depuis des années, le rôle de certains acteurs économiques dans le financement de groupes armés, l’orchestration de massacres de quartiers populaires et la corruption systémique?
Avant son départ pour les USA, Boulos faisait l’objet d’une enquête de l’ULCC. A l’époque il l’avait attribuée à de manœuvres politiciennes visant sa personne. Son nom était également dans les petits papiers de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) dans le cadre de l’enquête autour de l’assassinat du président Jovenel Moïse, alors qu’il a franchi en plein jour le tarmac de l’aéroport sans se soucier de ce pourrait lui arriver.
Quand l’impunité devient un crime d’État
Cette arrestation devrait réveiller la conscience des autorités haïtiennes. Car derrière les formules juridiques du communiqué américain, il est question de crimes graves contre la population haïtienne. Chaque balle tirée par un gang financé indirectement par des élites, chaque déplacé fuyant la guerre des territoires urbains, chaque fille violée dans une zone sous contrôle des gangs, est une victime directe de ce système criminel.
Les organisations comme l’OHDLP, la LHDDH, le CARDH, ou le Collectif Défenseurs Plus, qui documentent depuis des années ces liens obscurs, ont été trop souvent marginalisées ou menacées. Pourtant, elles avaient vu juste. Aujourd’hui, la reconnaissance formelle de ces faits par un pays tiers est un appel urgent à la justice transnationale.
Un nouveau précédent ou une manœuvre politique comme d’habitude?
Certains observateurs avertis n’excluent pas une instrumentalisation politique de l’affaire par l’administration Trump, désireuse de projeter une image de fermeté à l’approche d’échéances électorales. Mais même dans ce contexte, les faits allégués ne peuvent être ignorés ni relativisés. Boulos n’aurait pas d’échappatoire.
Si son arrestation s’accompagne d’un silence haïtien, elle restera une opération extérieure sans conséquence réelle sur le quotidien des Haïtiens. En revanche, si elle devient le catalyseur d’un réveil judiciaire en Haïti, elle marquera peut-être le début de la fin de l’impunité.
Les droits humains ne peuvent rester des slogans creux. Ils doivent être la boussole d’une refondation réelle de la justice en Haïti et l’échafaudage de la construction d’un Etat de droit. Que ce soit dans le dossier Boulos ou dans ceux des autres puissants protégés par leur fortune, l’heure n’est plus à la complaisance, mais à l’action.
Les victimes attendent. Le pays saigne. Et l’Histoire jugera ceux qui, par peur, intérêts ou lâcheté, auront refusé de briser le mur de l’impunité. Pour des centaines de milliers d’Haïtiens, la justice est l’ultime espoir.
Jean Mapou