Traditionnellement, le premier voyage d’un secrétaire d’État américain suit un rituel bien établi : direction l’Europe ou les grandes puissances alliées du G7 pour réaffirmer la solidité des relations transatlantiques. Une marque de continuité, presque un passage obligé. Mais Marco Rubio, lui, a choisi de briser la tradition.
Plutôt que de s’envoler vers Paris, Londres ou Berlin, le chef de la diplomatie américaine a décidé de poser ses valises en Amérique centrale et dans les Caraïbes. Un choix qui n’a rien d’anodin. Ce samedi 1er février, il entamera sa tournée au Panama, un pays où l’influence grandissante de Pékin inquiète Washington. De là, il poursuivra son périple au Salvador, au Guatemala, au Costa Rica et en République dominicaine, avec un message clair : l’ombre de la Chine s’étend trop près du seuil américain, et l’administration Trump entend y répondre avec une version revisitée du Big Stick.
Derrière ce voyage, c’est bien le spectre du America First de Donald Trump qui se manifeste, mais à la sauce Rubio : une diplomatie musclée, tournée vers l’hémisphère occidental, où le pragmatisme économique se mêle à une rhétorique d’influence et de dissuasion. Washington renoue ainsi avec une vision plus frontale de son pré carré, dans un monde où les rapports de force se jouent autant sur le terrain commercial que géopolitique.
Quand Trump et Rubio ressuscitent Roosevelt
Début du XXe siècle. Theodore Roosevelt impose sa vision du monde avec la doctrine du Big Stick – la diplomatie du gros bâton. L’idée ? Faire des États-Unis le gendarme incontesté du continent américain, avec l’interventionnisme pour levier et la stabilité régionale comme prétexte. Un siècle plus tard, ce même Big Stick refait surface sous une forme modernisée, teintée d’America First et d’hostilité à la Chine.
L’une des premières cibles de cette posture musclée ? Le canal de Panama. Depuis son entrée à la Maison-Blanche, Donald Trump agite la menace d’une reprise en main du passage stratégique, prétextant une influence chinoise grandissante. Interrogé sur la possibilité d’une intervention militaire, il esquive, laissant planer l’ambiguïté. Son secrétaire d’État, Marco Rubio, ne fait rien pour rassurer. Dans un entretien accordé à SiriusXM, il annonce : « Je pense qu’on verra émerger un continent américain plus sûr, et nos intérêts dans le canal de Panama seront plus sécurisés. » Une déclaration qui en dit long sur la nouvelle posture de Washington dans la région.
Mais dans l’Amérique de Trump, un continent « plus sûr » ne se résume pas à un contrôle accru des voies stratégiques. C’est aussi une frontière sud hermétique et une Amérique centrale débarrassée de l’influence chinoise. Salvador, Guatemala, Costa Rica : autant de pays qui alimentent le flux migratoire vers les États-Unis et se retrouvent dans la ligne de mire de la nouvelle administration. Dès son arrivée au pouvoir, Trump a lancé une vaste opération d’expulsions massives, rappelant à ces États leur dépendance économique vis-à-vis de Washington. Un message clair : ils ont tout intérêt à renforcer leur partenariat avec les États-Unis s’ils veulent éviter le courroux du Big Stick.
L’America First version Trump, ce n’est pas seulement du nationalisme économique. C’est aussi une diplomatie de confrontation, mêlant interventionnisme et unilatéralisme. Depuis son investiture, le président américain agite la menace tarifaire comme une arme : 10 %, 20 %, 25 %… Même le Canada, pourtant allié historique, n’est pas épargné. Alors pour les pays de la région, le choix est simple : s’aligner sur la vision trumpienne des Amériques ou se préparer à goûter au bâton.
Josué Sénat
M.A Politologue, internationaliste.