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Affaire Rudy Sanon : si ça passe, tout casse.

Par Jean Cenel Casséus

Récemment, deux des porte-paroles du groupe armé « Viv Ansanm » ont adressé une menace d’une gravité inédite à l’ensemble de la société haïtienne. Ils ont publiquement déclaré que toute entreprise plaçant une publicité dans l’émission matinale du journaliste Rudy Sanon serait considérée comme une cible. Plus encore, les employés de ces institutions seraient eux aussi exposés à des représailles. Ce n’est plus un avertissement ; c’est une sentence prononcée à haute voix, dans l’indifférence générale.

Dans un État fonctionnel, une telle déclaration aurait suscité une réaction immédiate de la part des autorités. Ce serait un réflexe institutionnel, une réponse automatique. Puis viendraient les voix du secteur privé, des associations de défense des droits humains, des syndicats de journalistes, de la presse elle-même. Mais dans un pays où chaque groupe social a cessé de se respecter, où chacun espère l’arrivée d’un sauveur étranger au lieu de défendre ce qui lui appartient, le silence se fait complice.

Rudy Sanon divise. Il dérange. Il choque. Son ton n’est pas toujours tempéré, ni ses interventions irréprochables. Mais il incarne un engagement. Il reste. Il parle encore, là où d’autres se sont tus ou sont partis. Il exerce son métier. Il interroge, il enquête, il provoque un débat. Et cela, en Haïti, devient un acte de bravoure. Comme tout travail, le sien comporte des fautes. Des maladresses. Des excès. Mais faut-il en conclure qu’il mérite d’être isolé, affamé, ciblé ? À travers cette menace, ce n’est pas une personne que l’on attaque. C’est une fonction. Une liberté.

L’enjeu dépasse de loin la personne de Rudy Sanon. Ce que « Viv Ansanm » vient d’instaurer, c’est une nouvelle forme de terreur : non plus la peur de la parole, mais la peur de soutenir ceux qui la portent. Le principe même d’une presse libre repose sur un équilibre fragile, dont la publicité constitue une composante essentielle. Menacer les annonceurs, c’est saboter cet équilibre. C’est viser le cœur du système. C’est vouloir faire taire non un homme, mais le droit d’informer.

Ce mécanisme de dissuasion par la terreur risque désormais de se répandre. Aujourd’hui Rudy, demain d’autres voix. Une animatrice trop franche, une rédaction trop curieuse, une station trop indépendante. Le message est clair : quiconque donne la parole ou la reçoit devient cible. Et si cette méthode fonctionne, si les entreprises reculent, si les citoyens se taisent, si la presse cède, alors tout s’effondre. La parole publique. L’espace du débat. Le contrat démocratique, déjà fragile.

Jamais dans l’histoire de l’humanité un groupe armé n’a établi un blocus économique autour d’une voix journalistique en menaçant non pas uniquement le professionnel, mais aussi ceux qui lui permettent d’exister. Ce que vit Rudy Sanon est un basculement. Et dans l’absence de réaction collective, dans cette normalisation de la terreur, c’est la société tout entière qui abdique. Ci-gìt 1986!

6 Aout 2025.

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