Chaque 16 juillet, Saut-d’Eau devient un haut lieu de ferveur religieuse. Mais en 2025, la ville sainte, désertée par sa population et livrée aux groupes armés, a vu ses traditions piétinées. En l’absence totale de l’État, les gangs ont pris possession de la fête patronale.
Le déroulement de la Notre-Dame du Mont-Carmel ce 16 juillet 2025 ne s’est passé comme d’habitude. Les dizaines de milliers de pèlerins convergeant, tous les ans, vers Saut-d’Eau pour célébrer dans une ambiance de recueillement et de liesse se sont désertés.
Quand les bandits font la fête
La ville du département du Centre est restée silencieuse, vidée de ses habitants, ses lieux saints abandonnés, ses traditions suspendues. En cause : l’emprise totale des gangs sur la commune depuis l’attaque sanglante du 31 mars, menée par les groupes armés « 400 Mawozo » et « Taliban », réunis au sein de la coalition criminelle Viv Ansanm.
Résultat : population en fuite, commerces à l’arrêt, lieux de culte désertés. Et pour la première fois depuis des décennies, aucun pèlerin n’a foulé la célèbre source miraculeuse. Aucune procession, aucun rite vodou, aucun service religieux n’a pu être organisé. « Il n’y a pas eu de célébration. Les habitants ont fui. Nous ne pouvions accueillir ni pèlerins ni visiteurs pour honorer notre culture », a confié, amère, Marie André Ruth Thélus, présidente de la commission municipale intérimaire.
« Ville Bonheur » profanée
Les images diffusées sur les réseaux sociaux témoignent d’une scène surréaliste : des chefs de gang lourdement armés, accompagnés d’hommes en uniforme, ont paradé dans la ville sous les acclamations de quelques personnes sur place. À défaut de prières, des liasses de billets ont été distribuées, et la fête du Mont-Carmel s’est transformée en démonstration de force criminelle.
Profondément choquée, la mairesse a présenté ses condoléances aux familles endeuillées par les violences et exprimé sa solidarité envers les commerçants ruinés. « Ce sont des terroristes qui souillent nos sites touristiques, avec la complicité de bandits en col blanc », a-t-elle dénoncé, pointant l’inaction flagrante des autorités centrales. Selon la mairesse depuis l’attaque, aucune opération d’envergure n’a été lancée. Le ministère de l’Intérieur a tenté un contact, mais rien de plus. Le reste du gouvernement semble rester sourd et invisible.
Cette absence de réponse de l’État dépasse la seule dimension sécuritaire. L’annulation de la fête du Mont-Carmel a eu des conséquences économiques dramatiques : hébergements, petits commerces, restauration, artisanat… tout un écosystème local qui comptait sur cette période pour survivre a été pulvérisé.
Au-delà d’un événement religieux manqué, la situation de Saut-d’Eau incarne le naufrage d’un État incapable de protéger ses citoyens, ses traditions et ses symboles. Des familles déracinées, des élèves déscolarisés, une population qui fuit… et une ville jadis surnommée « Ville Bonheur », aujourd’hui occupée, profanée, défigurée.
Saut-d’Eau devient ainsi le triste miroir d’un pays abandonné à lui-même, où la violence armée remplace les institutions, et où le sacré est livré au chaos.
Par Wideberlin SENEXANT


