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Renforcement de la coopération contre le trafic d’armes entre Haïti et États-Unis : entre responsabilités partagées et enjeux sécuritaires

Par Jean Wesley Pierre

Port-au-Prince, 9 novembre 2025 – Le constat est aussi troublant qu’incontournable : une grande partie des armes qui alimentent les groupes armés en Haïti provient du territoire américain. C’est le Chargé d’affaires des États-Unis en Haïti, Henry T. Wooster, qui l’a confirmé dans une récente intervention médiatique, tout en annonçant la saisie, rien que pour l’année 2025, de plus de 23 000 armes, assorties de munitions, d’argent liquide et de drogues destinées à Haïti.

Cette déclaration, bien que présentée comme un signe de coopération et de vigilance de la part de Washington, relance un débat plus large : celui de la responsabilité des États-Unis dans la crise sécuritaire haïtienne et de la nécessité d’une réponse bilatérale cohérente et durable.

Les enquêtes des services américains et haïtiens convergent : les armes illégales qui circulent dans les quartiers populaires et dans les mains des gangs proviennent, pour la plupart, des États du sud des États-Unis, notamment de Floride, où la législation sur les armes à feu demeure particulièrement permissive. Ces armes sont ensuite dissimulées dans des conteneurs commerciaux à destination de Port-au-Prince, souvent sous couvert de dons humanitaires, d’effets personnels ou de marchandises anodines.

Cette filière clandestine prospère sur les failles du système douanier haïtien et la corruption qui gangrène les ports du pays. Les saisies, bien que plus fréquentes depuis 2022, ne représentent qu’une infime portion du trafic réel. L’un des défis majeurs reste la traçabilité des cargaisons, souvent opérées par des réseaux de la diaspora haïtienne et des intermédiaires bien connectés.

Face aux critiques répétées des organisations haïtiennes et internationales, les États-Unis semblent vouloir démontrer un engagement renouvelé. Selon Henry Wooster, six trafiquants d’armes et leurs complices ont été arrêtés ou condamnés cette année dans le cadre d’enquêtes liées à Haïti.

« Comme de nombreux Haïtiens le soulignent, les armes qui arrivent illicitement depuis les États-Unis déstabilisent le pays. Les États-Unis œuvrent pour mettre fin à ce flux », a déclaré le diplomate.

Ces propos traduisent un changement de ton diplomatique, reconnaissant explicitement la responsabilité américaine dans la prolifération d’armes dans le pays. Cependant, pour beaucoup d’observateurs, les annonces demeurent symboliques tant que les mécanismes de contrôle internes aux États-Unis ne sont pas profondément révisés.

Haïti, dont les institutions sécuritaires et judiciaires sont affaiblies, ne dispose ni des moyens techniques ni du pouvoir de dissuasion pour contrer efficacement le trafic. La Police nationale d’Haïti (PNH), accompagnée des forces armées d’Haiti multiplie les opérations contre les gangs, mais elle reste sous-équipée, souvent face à des groupes lourdement armés avec des fusils d’assaut, des M4, des AK-47 et des pistolets semi-automatiques d’origine américaine.

Dans ce contexte, la coopération avec Washington est vitale, mais elle ne saurait masquer les asymétries structurelles : d’un côté, une superpuissance industrielle capable de légiférer et d’intervenir ; de l’autre, un État fragilisé, dépendant des initiatives extérieures pour sa propre sécurité.

Certains analystes estiment que les États-Unis devraient aller au-delà des saisies et adopter des mesures structurelles :

  1. renforcement du contrôle des exportations vers les Caraïbes ;
  2. sanctions contre les expéditeurs complices ;
  3. appui technologique à la douane haïtienne pour détecter les cargaisons suspectes ;
  4. coopération judiciaire renforcée pour identifier les bénéficiaires finaux en Haïti.

Il y a une dimension paradoxale dans la posture américaine. Tandis que Washington finance des programmes de stabilisation et forme les unités d’élite de la (PNH) Police nationale haïtienne, une partie des armes qui déstabilisent le pays traverse ses propres ports.

Cette contradiction alimente un sentiment d’hypocrisie diplomatique parmi les observateurs haïtiens, pour qui la crise sécuritaire du pays est aussi le résultat d’une économie mondiale de la violence, dont Haïti ne serait qu’un maillon vulnérable.

Au-delà des chiffres et des discours, la lutte contre le trafic d’armes vers Haïti exige une responsabilité partagée. Les États-Unis doivent s’attaquer à la racine du problème : le commerce légal et illégal d’armes sur leur sol.

Les autorités haïtiennes doivent renforcer le contrôle portuaire, sanctionner la corruption et améliorer la coordination entre la douane, la police et la justice.

Enfin, la communauté internationale doit reconnaître que la sécurité d’Haïti n’est pas une affaire interne, mais une question régionale liée aux flux transfrontaliers et aux intérêts économiques sous-jacents.

La déclaration d’Henry Wooster sonne comme une reconnaissance officielle d’un échec collectif.
Tant que les armes continueront à franchir les frontières maritimes pour inonder les bidonvilles de Port-au-Prince, les opérations de police resteront des palliatifs, non des solutions.

La bataille contre le trafic d’armes n’est pas seulement une question de saisies, mais une remise en question profonde des complicités, des intérêts et des silences qui entretiennent la spirale de la violence en Haïti.

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