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Élections en Haïti : un décret dans le vide ?

Sans sécurité, sans autorité, sans confiance, le pays n’a pas les conditions minimales pour aller aux urnes.

Par Pierre Josué Agénor Cadet

Quatre ans,trois mois et vingt- cinq jours après le crapuleux assassinat du president Jovenel Moïse, plus de dix-huit mois après la prestation de serment du Conseil présidentiel de transition (CPT), le Conseil électoral provisoire (CEP), mis sur pied par ce dernier, vient d’inviter les partis politiques et les organisations de la société civile à venir récupérer le projet de décret électoral à son bureau de Pétion-Ville. Un geste qui, au premier regard, pourrait laisser croire à une volonté d’avancer vers des élections. Mais en réalité, une question demeure : peut-on organiser des élections dans un pays sans sécurité, sans institutions crédibles et sans autorité morale et légitime ?

Un décret électoral sans contexte politique viable

Le Conseil électoral provisoire (CEP), dans une note rendue publique, convie les acteurs politiques et la société civile à venir récupérer le projet de décret électoral en prélude à d’éventuelles élections. Les remarques doivent être soumises avant le 10 novembre.

Mais derrière ce geste administratif se cache une réalité troublante : Haïti ne dispose pas, à l’heure actuelle, des conditions minimales pour un processus électoral crédible et inclusif.

L’effondrement sécuritaire et institutionnel

Depuis plusieurs années, le pays est en proie à une violence endémique causée par la spirale des gangs armés. Ces derniers contrôlent de larges portions du territoire national, y compris la capitale. Les forces de l’ordre, débordées et divisées, éprouvent des difficultés garantir la libre circulation des individus, encore moins la sécurité d’un scrutin.

Certains tribunaux en déplacement fonctionnent au ralenti quand ils ne sont pas dysfonctionnels, les administrations publiques sont désorganisées et les services de base ( santé, éducation, justice ) s’effondrent. Dans ce contexte, parler d’élections relève moins de la planification démocratique que de la fiction politique.

Le CEP en quête de légitimité

L’institution électorale, censée incarner la neutralité républicaine, souffre d’un déficit profond de crédibilité. Sa composition et sa mission font l’objet de contestations persistantes (pour certains de ses membres bien entendu). Les principales forces politiques du pays ne reconnaissent pas son autorité, et la population, désabusée, ne croit plus aux promesses institutionnelles.

Comment un organe sans légitimité nationale ni consensus politique pourrait-il organiser des élections dignes de ce nom ?

Des élections sans sécurité : le risque d’un simulacre

Organiser des élections dans un pays fragmenté comme le nôtre reviendrait à institutionnaliser l’anarchie. Les urnes deviendraient des cibles faciles pour les groupes armés, les électeurs seraient pris en otage, et le résultat du vote perdrait toute signification démocratique.

La démocratie ne peut naître ni de la peur ni de la contrainte. Elle exige un cadre sécuritaire stable, une autorité morale reconnue et la liberté d’expression des citoyens. Toutes ces trois conditions sont absentes de la réalité haïtienne actuelle.

Avant les urnes, la reconstruction de l’État

Le véritable chantier d’Haïti n’est pas électoral, mais institutionnel. Avant d’envisager des élections, il faut reconstruire l’État, restaurer la sécurité publique, refonder la justice et rétablir la confiance entre les gouvernants et les gouvernés.

Prévoir ou annoncer des élections sans la mise en place de ces conditions préalables sérieuses, n’en déplaise aux ambitieux ou aux assoiffés de pouvoir, équivaudrait à consacrer le chaos comme mode de gouvernance. L’histoire récente de notre pays en offre un triste précédent: le scrutin avorté du 29 novembre 1987.

A cette époque pourtant, la conjoncture nationale, bien que tendue, était loin d’atteindre le degré de désagrégation institutionnelle et sécuritaire que connaît aujourd’hui l’ancienne Perle des Antilles.

Le décret électoral du CEP, s’il existe bel et bien, ne saurait masquer la dérive systémique du pays. Tant que les armes dicteront la loi, que l’État restera fantomatique et que les institutions manqueront de légitimité, aucune élection ne pourra traduire la volonté souveraine du peuple haïtien.

Or, le temps n’est pas encore venu pour les urnes . Dans un pays plongé dans l’insécurité,l’absence d’autorité responsable et la dégénérescence de l’appareil étatique, parler déjà de décret électoral relève davantage du voeu pieux que d’une perspective réaliste. Ce qui s’impose aujourd’hui, c’est la préparation raisonnable du remplacement du CPT.

Le Conseil présidentiel de transition arrive au terme du mandat qu’il s’était lui-même fixé avec un bilan creux, marqué par le gâchis administratif, l’improvisation, la mésentente, la corruprion et une incapacité manifeste à retablir la confiance entre l’Etat et la population.

Il s’agit d’ouvrir une nouvelle phase, en faisant appel à des techncrates compétents et intègres, à des patriotes et à des fils et filles dignes du pays. Ces derniers doivent être en mesure de restaurer, avec souveraineté, l’autorité de l’État, condition pré-requise à tout processus électoral crédible. Ce n’est qu’après cette reconstruction institutionnelle et morale que pourront se réaliser, dans la sérénité, le référendum constitutionnel et les élections générales que la population et le peuple de la République d’Haïti attend depuis plus de cinq ans.

Haïti ne peut pas se permettre une nouvelle transition sans cap ni cohérence. L’heure est venue d’un sursaut national, où l’intérêt général doit primer sur les calculs de partis et/ou de clan mafieux. Les forces encore saines du pays ont le devoir de s’unir pour exiger une refondation réelle de l’État-Nation. Sans cette prise de conscience, aucune élection ne pourra redonner à Haïti, notre cher pays, la stabilité et la dignité qu’il mérite.

Pierre Josué Agénor Cadet, professeur d’histoire et de science politique à l’université

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