Opinion – Par Gesly Sinvilier
Pendant longtemps, la fierté d’être Haïtien reposait sur un socle inébranlable : celui d’un peuple qui, le premier, a brisé les chaînes de l’esclavage pour proclamer son indépendance. Cette victoire, arrachée au prix du sang et du courage, a fait de nous un symbole universel de liberté et de dignité. Haïti a été cette lumière dans un monde encore plongé dans les ténèbres de la servitude. Nos héros – Dessalines, Pétion, Christophe, Capois-la-Mort et tant d’autres – incarnaient la grandeur d’un peuple capable de défier l’injustice et de se tenir debout, coûte que coûte.
Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Que reste-t-il de cette fierté, de ce souffle qui animait nos ancêtres ? La vérité, aussi amère soit-elle, est que cette fierté s’est éteinte dans le tumulte de notre histoire récente. Nous continuons de brandir l’étendard de l’indépendance comme une gloire éternelle, alors que notre présent n’offre plus rien de ce qui devrait inspirer l’orgueil national.
Oui, notre passé fut glorieux. Mais il ne saurait, à lui seul, nous absoudre de nos échecs actuels. Ce serait une insulte à la mémoire de nos héros que de se contenter d’un récit figé, sans jamais interroger ce que nous sommes devenus. Car en vérité, Haïti vit aujourd’hui une profonde déchéance morale et politique. Les sanctions à répétition contre nos élites économiques et politiques révèlent un pays où la corruption a supplanté l’honneur, où l’intérêt personnel prévaut sur le bien commun.
La transition qui s’éternise, cette succession de pouvoirs provisoires sans horizon, illustre notre incapacité collective à définir un cap clair pour la nation. Nous tournons en rond dans une confusion politique permanente, incapables de nous accorder sur une vision, une gouvernance, un projet de société. La République, jadis conquise au prix du sacrifice, est aujourd’hui prise en otage par des calculs mesquins, des ambitions stériles et une absence totale de leadership moral.
Sommes-nous encore dignes de notre passé ? Rien n’est moins sûr. Car la dignité ne se décrète pas, elle se démontre. Et ce que nous démontrons aujourd’hui, c’est une faillite nationale : celle de l’esprit, de la conscience et du devoir. Nos héros avaient rêvé d’un peuple fier, uni, maître de son destin. Nous leur offrons un pays fragmenté, désespéré, sans boussole.
Rappeler notre passé glorieux est nécessaire, mais cela ne doit pas servir d’alibi à notre impuissance présente. Être fiers d’Haïti, ce n’est pas répéter mécaniquement les exploits de 1804 ; c’est s’en montrer dignes, chaque jour, par nos actes, nos choix et notre engagement envers la nation. Tant que nous ne serons pas capables de redonner sens à cet héritage, notre indépendance ne sera plus qu’une date sur un calendrier, vidée de sa substance.
La véritable fierté ne réside pas dans le souvenir, mais dans la continuité de l’effort. Et cet effort, aujourd’hui, nous fait cruellement défaut.


