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Un appel à la raison politique et à la restauration constitutionnelle

Par Jean Wesley Pierre

Un cri d’alarme au nom de Dessalines

En cette date hautement symbolique du 219ᵉ anniversaire de l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines, père fondateur de la nation haïtienne, l’ancien président provisoire, Jocelerme Privert, publie une note de conjoncture à forte portée politique et morale.

L’homme d’État, connu pour sa rigueur institutionnelle et sa discrétion, choisit la mémoire du fondateur de la Patrie pour rappeler une évidence trop souvent occultée : Haïti s’est perdue dans une transition sans fin, loin de l’idéal dessalinien de souveraineté, de dignité et de justice sociale.

Ce document, à la fois lucide et critique, sonne comme un rappel à l’ordre patriotique. L’ex président Privert invite ses compatriotes, en particulier les acteurs politiques, à « conjuguer leurs efforts » pour ramener le pays à l’ordre constitutionnel, qu’il qualifie de « condition indispensable à la paix et à la stabilité ». Son message, profondément institutionnaliste, contraste avec les postures opportunistes et les discours partisans qui saturent actuellement la scène politique haïtienne.

Il dresse un constat sévère, mais incontestable : depuis la chute de la dictature des Duvalier en 1986, la démocratie haïtienne n’a jamais réussi à s’ancrer durablement.

L’ancien président rappelle que le pays vit depuis six ans une transition politique ininterrompue, la plus longue de son histoire contemporaine, marquée par l’assassinat de Jovenel Moïse, la vacance du pouvoir et l’effritement total des institutions élues.
Son diagnostic est sans détour :

« Aujourd’hui, l’ensemble des institutions publiques est dirigé par des responsables dépourvus de légitimité démocratique. »

En quelques lignes, Privert résume la faillite institutionnelle d’un État fonctionnant hors de sa propre Constitution, gouverné par des autorités de fait, sans mandat populaire. En dénonçant la « transition dans la transition », il met en garde contre la tentation d’un pouvoir sans fin, où chaque acteur cherche à prolonger la crise pour mieux en tirer avantage.

La sécurité : entre dépendance et souveraineté

Sur la question sécuritaire, Privert adopte une position mesurée mais ferme. Il reconnaît l’opportunité du vote du Conseil de sécurité de l’ONU (Résolution 2793, 30 septembre 2025) autorisant le déploiement d’une nouvelle force internationale, tout en soulignant la responsabilité première des dirigeants haïtiens dans la restauration de la sécurité nationale.

Pour lui, aucune élection crédible n’est possible sans sécurité, mais aucune sécurité durable ne peut être obtenue sans la reconstruction des forces nationales de défense et de police.

Ce passage traduit une tension historique et récurrente dans la politique haïtienne : la dépendance vis-à-vis des interventions étrangères pour résoudre des crises internes. Privert, en homme d’État pragmatique, ne rejette pas l’aide internationale, mais il appelle à une refondation institutionnelle souveraine, fondée sur la professionnalisation et la dépolitisation des forces de sécurité.

C’est un avertissement contre la complicité et la collusion d’élites locales qui instrumentalisent la violence à des fins politiques.

La légitimité par les urnes : un impératif national

Dans un contexte où le Parlement est dysfonctionnel depuis janvier 2020 et où les collectivités locales sont dirigées par des agents intérimaires, Privert place l’organisation d’élections libres et inclusives au cœur de la sortie de crise.

Il désigne le Conseil présidentiel de transition (CPT), en fonction depuis avril 2024, comme un organe non constitutionnel, illustrant le désordre institutionnel actuel. Il appelle à mettre fin à cette gouvernance d’exception, qui ne fait pas consensus et qui, selon lui, retarde la restauration de la légitimité populaire.

Ce rappel a d’autant plus de poids que Jocelerme Privert, lui-même ancien président de transition (2016–2017), avait respecté scrupuleusement le mandat de 120 jours fixé par la Constitution, preuve qu’une transition peut être brève et ordonnée lorsqu’elle repose sur la légalité.

Un message à la classe politique et à la communauté internationale

L’ancien président renvoie dos à dos les protagonistes haïtiens et les acteurs internationaux : les premiers pour leurs querelles destructrices et leurs ambitions personnelles, les seconds pour leurs ingérences ou leur complaisance face à l’illégitimité.
Il les exhorte à faire de 2026 l’année du retour à la légitimité constitutionnelle.

Cette position n’est ni populiste ni polémique : elle traduit une fidélité à l’esprit de la Constitution de 1987 et une volonté de redonner à Haïti sa dignité institutionnelle. En filigrane, Privert rappelle que la souveraineté nationale, chère à Dessalines, n’a de sens que si elle s’exerce dans le cadre d’un État de droit.

Cette note n’est pas une simple déclaration commémorative : c’est une prise de position politique réfléchie, à un moment où la classe politique semble désorientée.

L’ancien président ne revendique aucun rôle, mais trace une voie : la fin de la transition, la réforme des institutions sécuritaires et la tenue d’élections crédibles. Trois conditions, selon lui, pour sortir Haïti du chaos.

À travers ce texte, Jocelerme Privert s’impose à nouveau comme l’une des voix les plus pondérées et institutionnelles de la scène haïtienne.

Son appel, empreint de lucidité et de patriotisme, résonne comme un écho du serment de Dessalines : celui de ne jamais trahir la dignité du peuple haïtien.

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